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prêtres qu’ils excommunient ne sont pas de vrais prêtres. Or les demi-croyans désirent que leur curé soit un vrai curé, sans tare et sans défaut, et un prêtre constitutionnel ou assermenté sera toujours à leurs yeux un intrus, dont le cas n’est pas net. Cela se voit en Suisse : le vieux-catholicisme y est mort de la dangereuse amitié que lui a témoignée l’état. Les gouvernemens de Berne et de Genève, qui s’imaginent qu’on peut forcer les gens à être libres, ont dit à leurs ressortissans catholiques : « Nous voulons vous affranchir du joug odieux de la hiérarchie romaine, nous vous octroyons le droit de nommer vous-mêmes vos pasteurs ; ne vous gênez pas, choisissez-les aussi raisonnables qu’il vous plaira. » Les catholiques genevois et bernois n’ont pas su apprécier la faveur qu’on leur faisait. Dernièrement la commune de Mputiers, qui compte près de 1,400 catholiques romains et 24 vieux-catholiques, devait nommer son curé. 5 électeurs ont pris part au scrutin, 3 ont donné leur voix au titulaire actuel, 2 ont voté contre. Le gouvernement, comme c’était son devoir, a validé l’élection. L’église de Moutiers et ses biens appartiennent aujourd’hui aux 24 vieux-catholiques, et la caisse de l’état sert un traitement à un curé national élu par 3 voix. C’est ainsi que dans les républiques qui permettent à la politique d’envahir la religion, la démocratie et le suffrage universel aboutissent quelquefois au règne oppressif des minorités.

C’est un insaisissable ennemi qu’un dogme ou une idée. Il se dérobe à toutes les étreintes ; quand on croit le tenir, il s’échappe dans l’air, par levibus ventis, et l’on ne se bat pas à coups de poing contre le vent. Le radicalisme suisse ne fait pas une brillante figure dans cette grande partie de pugilat qu’il vient d’engager avec un dogme. La Prusse a eu plus de souci de sa dignité. L’homme supérieur qui dirige ses destinées n’a pas l’habitude de prêter à la plaisanterie ; la vue d’une soutane ne lui donné point de syncopes, et jamais il ne se serait avisé qu’il suffit d’un rabat qui se promène dans la rue pour mettre une république en danger. Cependant M. de Bismarck est-il arrivé à ses fins ? Peut-il se vanter d’avoir ville gagnée ?

Qui fut jamais mieux armé pour une lutte contre l’église que le gouvernement prussien ? Il n’avait pas seulement pour lui la force, une imposante autorité, l’assistance de la plus puissante et de la plus respectée des bureaucraties ; il avait encore le prestige de la gloire militaire, il tenait dans sa main Pépée de Sadowa et de Sedan. Il a donné des ordres aux consciences du même ton qu’il en eût donné à ses soldats ; il se flattait d’être obéi, il ne l’a point été. Il espérait que, protégé par lui contre les foudres de l’excommunication, le vieux-catholicisme ferait de rapides conquêtes et qu’avant peu il pourrait le prendre sous son patronage officiel, lui faire une part léonine dans le budget des cultes, qui sait encore ? le proclamer comme le vrai catholicisme et déclarer