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d’anciens maréchaux-des-logis français. Un des caractères particuliers du Turc comme canonnier est une excellente appréciation des distances, ce qui le rend naturellement très propre au service de l’artillerie. J’observe que dans ce groupe d’une cinquantaine d’hommes un certain nombre des servans de pièces sont des nègres de très haute stature.

On tiraille ainsi jusqu’à la nuit sans plan, sans décision vigoureuse d’enlever les hauteurs, de s’y établir et de les garder, et toutes les montagnes entre la Verbaz et la Bosna restent au pouvoir des insurgés, qui n’ont cependant ni chefs habiles ni munitions, et comptent au plus 700 ou 800 hommes dans toute la région sous le commandement d’un certain Petzga. L’ensemble des forces dont on dispose ici pour les attaquer est de quatorze bataillons ; on devrait donc en finir avec un peu de vigueur ; mais après chaque affaire on revient en plaine pour occuper les villes où il n’y a plus que des Turcs, laissant les insurgés maîtres des hauts plateaux. C’est évidemment une guerre mal faite, je ne vois pas de mouvemens stratégiques ; la série de collines que nous avons en face de nous est absolument circonscrite par la Save dont les passages sont faciles à garder, et sur l’autre versant de cette petite chaîne les assaillans ont toujours un refuge derrière le cours de l’Ukrina, de sorte qu’ils attirent leur ennemi de mamelon en mamelon, le dominent toujours tant qu’ils sont dans la montagne, ont une ligne de retraite s’ils en sont chassés, et, par conséquent, peuvent toujours lui faire beaucoup de mal avec des forces très inférieures.

Le soleil se couche ; on voit revenir les bachi-bozouks, qui redescendent la colline et s’éparpillent dans la plaine ; ils étaient 200 au départ, on en compte 100 à peine qui repassent la rivière en traînant des moutons enlevés justement aux raïas qui ne se sont point soulevés et n’ont pas fui devant les troupes. On raconte que le gros des forces, après avoir tiraillé dans les bosquets, a fini par gravir le mamelon, occupé un enclos autour d’une église où pendant quelque temps encore la fusillade a été vive ; puis, comme l’action traînait, les irréguliers se sont jetés sur l’édifice en enfonçant les portes, l’ont saccagé, livré aux flammes, et fait quelques prisonniers qu’ils ne ramènent point. Le jour fini, chacun rentre, les troupes dans la plaine et autour des villes où s’élèvent les campemens, les insurgés réoccupant la montagne et les hauts plateaux pour redescendre le lendemain jusque sur le front de bandière des camps afin de harceler les Turcs, et recommencer la même manœuvre que la veille.

Pendant que les troupes se reforment avec peine, nous nous dirigeons vers le village de Dugovo, où l’on a établi provisoirement les