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exactement celui des bateaux prussiens à torpilles ? Il n’importe ; ce qui intéresse, c’est l’introduction de ce terrible engin dans le cadre des flottes et la profonde révolution qu’il crée. Comment s’en défendre ? Est-il un moyen de le tenir à l’écart ? La surveillance la plus active est insuffisante. La nuit est toujours le moment de l’attaque. Celle-ci est foudroyante et ne laisse pas le temps de se reconnaître. Comment atteindre et arrêter dans l’obscurité un si petit objet, une espèce de planche qui monte et descend sur les flots, paraît et disparaît avec une rapidité de 18 nœuds à l’heure ? Le New-Ironside était au large de Charleston dans la nuit du 5 octobre 1863. « Les sentinelles signalèrent un petit objet qui s’approchait rapidement du navire. Il fut hélé. La seule réponse fut une balle de carabine qui tua l’officier de quart. Au même instant, une épouvantable explosion ébranlait la coque du New-Ironside. Une immense colonne d’eau inondait les ponts, produisant à bord une confusion indescriptible pendant laquelle le bateau-torpille était hors de vue. » Comme nous l’avons déjà dit, le trouble était si grand dans la flotte fédérale que l’amirauté n’avait pu imaginer d’autre ressource que la fuite pour échapper au danger. Elle avait prescrit de doubler les sentinelles, de tenir les chaînes prêtes à filer et d’être préparé à appareiller à toute vapeur au premier signal. Malgré tout, la corvette Housatonic près de Charleston fut encore détruite par une torpille le 17 février 1864. « L’officier de quart aperçut un objet qui avait l’apparence d’une planche flottante. Il fit machine en arrière, appela tout le monde sur le pont ; mais, prompte comme la foudre, la torpille meurtrière vint frapper le navire à la hauteur des soutes à poudre. Aussitôt la corvette s’enfonça, creusant dans la mer un abîme où l’agresseur fut englouti. »

On a vu que l’Albemarle avait fait feu de toutes pièces contre l’assaillant sans pouvoir échapper à son sort. Ce cuirassé était, dit le rapport, entouré de ses défenses. Quelle en était la nature ? On a imaginé d’entourer les bâtimens d’un grillage en fer qu’on suspendrait à l’extrémité d’un certain nombre d’espars pour tenir les torpilles à distance. En route et en temps ordinaire, on replierait ces grilles contre les murailles du vaisseau. Les « défenses » de l’Albemarle étaient-elles ainsi organisées ? Dans tous les cas, elles n’ont pas empêché l’effet de la torpille fédérale. Un jet de lumière électrique éclairant l’horizon serait encore un moyen de défense. Il a été proposé. Cette sauvegarde est comprise dans les études auxquelles se livrent en ce moment les états maritimes. Quel usage pourra-t-on faire de ce procédé ? Sera-t-il praticable d’entretenir, sur chaque navire un phare électrique pendant toute la durée d’un blocus ?