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quelques mois maintenue sans coup férir, elle a été chassée par la mer et les vents violens du nord. Obligée de rentrer dans nos ports, elle a eu la mortification de voir une corvette prussienne, l’Augusta, passer audacieusement devant ses canons au repos et s’établir à l’entrée de la Gironde, où elle captura des navires de commerce français, en riant de nos vains efforts pour la prendre. Il n’y avait rien là qui fût de nature à motiver les inquiétudes coûteuses du Reichstag. L’inaction forcée de nos escadres avait au contraire dû lui inspirer une prétention, celle d’égaler notre flotte, de la surpasser peut-être. L’argent voté était donné à l’espérance plutôt qu’à la crainte.


II

Ce que la Prusse a fait lorsque sa marine était encore dans les langes montre ce qu’elle pourra faire lorsque sa flotte sera complète, c’est-à-dire dans six années. Cette flotte réalise tous les perfectionnemens imaginables en l’état actuel de la science navale. La Prusse a évité tous les tâtonnemens imposés aux anciennes marines, qui se sont transformées progressivement et qui sont encombrées d’un matériel devenu inutile. La flotte prussienne sort toute armée du cerveau de M. de Bismarck ; mais ce qu’on peut lui reprocher, c’est la précipitation de sa naissance. Jeune, elle est déjà frappée de caducité parce qu’elle est venue en un moment de transition, où l’excès de certains principes d’attaque et de défense, ceux notamment qui président aux transformations successives et toujours renouvelées de la cuirasse et de l’artillerie, en sont arrivés au point où il n’y a plus qu’à reculer. Ce moment est encore marqué par une innovation capitale, l’invention des torpilles, qui va probablement révolutionner l’art de la guerre maritime.

Les torpilles ont été employées pour la première fois en Amérique pendant la guerre de la sécession. Longtemps auparavant, Robert Fulton avait conçu l’idée d’une caisse de poudre qui, plongée dans l’eau, éclaterait sous les vaisseaux et les coulerait. Il imagina un appareil qui devait s’attacher aux flancs des bâtimens après y avoir été porté par un bateau sous-marin. En 1801, il offrit au gouvernement français l’application de son projet ; mais c’est précisément par l’application que ses expériences manquèrent. Cependant l’idée était bonne, et les bonnes idées ne se perdent guère. Avec le temps, elles font toujours leur chemin. L’invention de Fulton, écartée par le gouvernement français, fut portée par son auteur en Angleterre. Accueillie par Pitt, elle fut repoussée par l’amirauté à cause de son efficacité présumée. « Nous avons la suprématie sur