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et réservés exclusivement au transport des troupes. La Prusse a créé des corps d’ouvriers militaires qui sont exercés à la manœuvre des wagons dans les gares. Le système prussien est basé sur la promptitude de la mobilisation et des mouvemens d’une armée : l’art de la guerre est, à Berlin, l’art de réunir le premier sur un point donné le plus grand nombre possible de soldats. Tout est utilisé dans ce dessein au grand état-major général : la mécanique, l’électricité, la vapeur. L’armée est elle-même une vaste machine dont le général en chef a seul la clé.

Le général Von Falkenstein avait levé, pour assurer la promptitude de ses informations, des compagnies de gardes-côtes qui allaient d’un point à un autre entre les stations télégraphiques, et celles-ci étaient établies là où la vue pouvait s’étendre le plus loin. Il avait fait enlever les bouées et les balises à l’entrée des fleuves ; il avait mis l’embargo sur toutes les embarcations de pilotes, et ceux-ci étaient consignés à terre. Des câbles de fer, des torpilles étaient tendus aux embouchures. Le général s’appuyait enfin, comme dernière ligne de défense, sur les canaux, les étangs et les marécages qui bordent les rivages, y forment une chaîne de lagunes impraticables où les troupes en marche sont exposées à rester embourbées. Malgré l’efficacité de ces précautions, M. de Bismarck ne se sentait pas encore « remis d’une alarme si chaude » et complètement rassuré. Il demandait au Reichstag, épouvanté du péril qu’on lui faisait entrevoir et que la Prusse était censée courir, de l’argent, encore de l’argent. Une ligne de forteresses couvre tout le littoral, y forme une ceinture de pierres et de canons ; mais le granit ne rassurait pas le chancelier : il fallait y substituer le fer. De nouveaux forts étaient à construire, et ceux-ci revêtus de cuirasses. Un chapelet de gros canons devait en outre être égrené le long de la côte. C’était un nouveau genre de folie : la folie de l’armement.

Nous avons dit que l’assemblée avait tout accordé, vaisseaux et équipages, artillerie et forteresses blindées. Était-elle réellement effrayée, et l’apparition de notre flotte sur les côtes prussiennes avait-elle laissé dans les esprits une épouvante survivant si longtemps à son impuissance ? C’est au moins douteux, et la comédie de terreur improvisée à propos cachait plutôt le désir de profiter de toutes les circonstances favorables pour augmenter les ressources de la marine. Il serait puéril de se dissimuler que nos armemens maritimes n’ont pas été de nature à tant émouvoir la nation qui se dit « notre ennemie héréditaire. » Notre flotte, partie de Cherbourg sans préparation suffisante, dépourvue des batteries nécessaires pour l’attaque des défenses à terre, privée de troupes de débarquement, n’a pu réaliser aucune de nos espérances. Après une croisière de