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Il n’y avait pas jusqu’aux chevaux de la section côte sud qui, soignés avec d’autant plus de sollicitude qu’on exigeait d’eux davantage, ne fussent plus vigoureux que ceux de la frontière voisine, qui galopaient bien moins. C’était un plaisir de les voir rentrer le soir, ou dans le jour, à chacune des alertes réelles ou simulées qui tenaient le soldat en éveil. Ils paissaient en liberté, à la mode argentine, mais toujours en vue du fort. Malgré la plus stricte surveillance, les chevaux au pâturage sont très exposés. Les annales des frontières sont remplies des inventions originales et hardies des Indiens pour se les approprier au nez et à la barbe des troupes du gouvernement. Par exemple, accrochés le long des flancs de chevaux iras et sans bride qui obéissent à la voix, quelques Indiens viennent se poster à une certaine distance des chevaux du fort. Ceux-ci, voyant paître au loin des chevaux qui paraissent libres, se portent insensiblement vers eux par suite de l’instinct de sociabilité que possèdent ces animaux. Les Indiens dirigent alors leurs bêtes de manière que toute la troupe aille s’éloignant insensiblement de ses gardiens. Ils attendent avec une patience infinie le moment propice, et soudain, sûrs de leur coup, se hissent avec de grands cris sur le dos de leurs montures et chassent devant eux la caballada effarée, qui en un clin d’œil est hors de vue.

Pour éviter ce mauvais tour et cent autres du même genre, on ne se contentait pas, à la frontière côte sud, de mettre autour de chaque troupe de chevaux quatre soldats qui tournaient constamment autour d’elle comme des chiens de berger autour des brebis. On tenait toujours une quinzaine de chevaux sellés pour aller chercher les autres en cas d’alerte, et l’on avait habitué les soldats à partir à toute bride et à revenir du même train. Le départ de ces hommes était plus semblable à une course qu’à une manœuvre ; le retour des 400 ou 500 chevaux du fort, habitués à ce manège, et qui savaient qu’il était le prélude d’un bon souper, était des plus pittoresques. Au premier coup de trompette, ils regardaient vers le fort, et dès qu’ils voyaient le groupe des soldats en sortir, ils prenaient leur élan, luttaient de vitesse et se précipitaient dans le corral comme un ouragan. Ajoutons que c’étaient là autant de « galops d’entraînement, » qui les préparaient aux longues traites.

Le commandant de Necochea rentra soucieux. Il rapportait ses appréhensions entières. Nous étions en train de le plaisanter de sa prudence et d’insister pour partir, quand arriva un message qui nous fit lever en sursaut de nos sièges de terre battue. Il nous apprenait que les Indiens de Lavalle étaient en pleine révolte, que les quatre Indiens de garnison au fort Aldecoa, le nôtre, avaient volé nos chevaux, que plus de 1,000 lances de la tribu de Namuncurà avaient pénétré en dedans de la ligne, enfin que nos arpenteurs,