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en y plaçant un homme à lui, un militaire de franc collier, le général Iwanowsky. On le lui assassina dès les premières heures de la révolte de septembre. Quant à la frontière de Buenos-Ayres, où le général Rivas prenait des allures de proconsul, il ne voulut jamais se faire à l’idée qu’un soulèvement de caserne pût éclater là, dans la province-chef, à portée de sa main. Il était trop persuadé que son pays était enfin sorti, et surtout grâce à ses efforts, de la période troublée où les armées font et défont des gouvernemens. Quand on vint lui annoncer que le général Rivas préparait son pronunciamiento, qu’il concentrait ses régimens pour marcher sur Buenos-Ayres, il se contenta de lui envoyer une belle lettre où il lui dépeignait, avec cette piquante vivacité de logique et de style qui est son charme comme écrivain et certainement son originalité comme homme d’état, combien une telle entreprise serait folle. Il jugeait que ce suprême appel à l’honneur et au bon sens d’un soldat serait, passant par sa plume, irrésistible. Il en attendit le résultat sans broncher. Au fond, l’événement définitif a donné raison au vieux disciple de Lincoln, malgré ses candeurs singulières : l’insurrection eut la vie courte. Quant à l’événement immédiat, il lui donna complètement tort. Rivas lut la lettre et marcha sur Buenos-Ayres, et naturellement il amenait à sa suite les 1,500 lances de son ami Cipriano Catriel.

Si le jeune cacique accepta avec enthousiasme les perspectives d’une excursion à travers les riches plaines de la province, tout autre fut le sentiment que réveilla dans la masse du parti mitriste l’apparition de ce compromettant auxiliaire. Les grands propriétaires fonciers, les gros fournisseurs, les puissans capitalistes qui poussaient en avant le général Mitre, tous ces gens dont l’idéal de gouvernement est une oligarchie de bourgeois opulens, dignes, formalistes, de quel œil durent-ils voir ce torrent de pillards se déchaîner sur la campagne en invoquant leur cause et en agitant leur drapeau ! Certes le général Mitre, entraîné malgré lui dans cette aventure, dut maudire le zèle inconsidéré de son lieutenant, lorsque, débarquant au Tuyu pour prendre le commandement de l’armée rebelle, il se retrouva en présence de ses anciens adversaires de Sierra-Chica, devenus ses alliés ; décidément cette tribu néfaste ne lui portait pas bonheur. Les Indiens n’étaient guère plus satisfaits de leur équipée. Ils étaient partis comme pour une fête et s’en étaient d’abord donné à cœur joie, brûlant les chaumières, massacrant les troupeaux de moutons pour le plaisir, pour voir le sang couler, et naturellement se remontant en chevaux pour longtemps. Ces distractions de haut goût durèrent peu. Il fallut se mettre en retraite, s’alléger de butin pour courir plus vite et même, humiliation à laquelle ces sobres cavaliers étaient déjà devenus sensibles,