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aventure de ce genre, le fameux, ténor Rubini n’aurait sans doute jamais connu ni les triomphes, ni les violens désespoirs. Aux approches de la vieillesse, le jeu du larynx devient pénible, d’abord la voix baisse de ton, ensuite elle diminue d’intensité ; — le souffle au perdu de sa puissance. Parfois avant l’âge la maladie détériore l’instrument ; l’organe, demeurant intact en apparence, cesse de rendre un bon office, si par une circonstance l’action nerveuse est plus ou moins abolie. Au moyen de l’électricité, M. Mandl a pu pour un instant ranimer des voix éteintes. À la suite d’un travail de l’organisme, tout à coup telle cantatrice a vu disparaître sans retour une voix enchanteresse. Pareil malheur éveille le souvenir de Cornélia Falcon.

La musique n’a point pour tout le monde le même charme ; la plus belle inspire des ravissemens ou cause la fatigue et l’ennui. Agissant sur la sensibilité nerveuse, elle produit, selon les individus, des impressions d’une étonnante diversité. Le chant plaît d’une manière beaucoup plus générale que la musique des instrumens ; il touche parce qu’il semble répondre à des sentimens intimes de l’âme humaine, la tristesse, la joie, le bonheur. Aussi, dans sa forme primitive, il a des séductions même pour les esprits que les habitudes mondaines ont rendus indifférens aux choses simples de la nature. Au milieu de la campagne, lorsque descendent les ombres de la nuit, comme il est agréable d’entendre une voix fraîche et inculte ! En gravissant les rudes sentiers des Alpes, comme c’est plaisir d’écouter la chanson de la jeune bergère ou du pâtre qui trompe les heures de solitude !

Au sein de la civilisation, le chant n’est prisé qu’à la condition d’être un grand art ; lorsqu’il s’élève à cette dignité, il attire les foules. L’homme ou la femme, en possession d’une des plus belles voix du monde, nourrissant la pensée d’exercer un charme, commence par aller à l’école. L’instrument, dont nous avons vu l’admirable mécanisme, n’obéit sûrement qu’après bien des efforts et de continuels exercices dirigés avec méthode. Il en est ainsi de tous les organes soumis à la volonté ; pour s’en convaincre, chacun a l’expérience de l’usage des mains. Habile dans le jeu du larynx et de la bouche, le chanteur ne tire encore de brillans effets d’une voix superbe qu’à force d’intelligence. De l’intelligence seule viennent l’expression, le goût, le style ; autant de qualités qui sont de la personne même. Feinte ou réelle, la sensibilité demeure toujours un élément de succès. On engage l’artiste à ne jamais rien prendre des passions qu’il exprime, car bientôt au trouble de l’âme succède l’extrême fatigue ; il peut parvenir, assure-t-on, à l’imitation parfaite, en conservant le calme de l’esprit ; pourtant l’émotion ressentie ne sera-t-elle pas toujours plus communicative ?