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produire au milieu du monde qui bannit toute contrainte. On n’imagine pas que se plaisent à chanter des personnages dont l’esprit demeure occupé de questions très sérieuses ; on le comprend pour les femmes qui n’ont pas de semblables soucis, et pour les hommes dont la pensée reste inactive pendant les heures de travail. Tous les peuples ont des chants ; le rhythme musical procure une sorte d’ivresse, un étourdissement qui fait oublier la fatigue, conjure l’ennui, détache l’âme des réalités pénibles de la vie, et empêche le cœur de faiblir sous la menace du danger. En marchant au combat, les bandes mal disciplinées, s’animent par des chants de guerre ; au soir, les laboureurs se reposent en jetant aux échos de joyeux refrains. Dans l’atelier, en accomplissant la besogne monotone, l’ouvrier se distrait avec-une chanson grivoise, et, dans la chambre solitaire, la jeune fille en gazouillant des paroles d’amour ne s’impatiente plus de tirer mille fois l’aiguille. Dans les cérémonies du culte divin, les chants graves et tristes plongent les personnes sensibles en une sorte d’extase, et dans les concerts où l’art le plus raffiné charme l’esprit, les voix éveillent tous les sentimens tendres ou passionnés. En vérité, l’instrument que nous avons décrit exerce une singulière puissance parmi les humains. Il est beau d’en avoir surpris le jeu que longtemps on crut à jamais caché aux regards des investigateurs.

Le chant exige de l’appareil vocal une bien autre activité que la parole. Aussi pour l’artiste une excellente constitution physique, une parfaite régularité des fonctions de l’organisme sont des avantages inappréciables. Dans l’émission de la voix, il est essentiel que les mouvemens respiratoires s’effectuent sans trouble et sans effort ; ils doivent être réglés de façon à rendre l’inspiration courte et facile, l’expiration lente et prolongée. La lutte s’établit entre les organes qui retiennent l’air et ceux qui le chassent ; elle sera douce dans les conditions d’exercice, de jeunesse et de santé. Chez l’artiste heureusement doué, ignorant la peine, le larynx conserve la position ordinaire, malgré les variations d’intensité et de hauteur des sons qui jaillissent. Entraîné dans les mouvemens un peu énergiques de la langue, il s’élève on s’abaisse sans profit. Fixe dans sa situation, le larynx du chanteur multiplie les évolutions ; l’agilité, la souplesse de toutes les parties, ont une influence de premier ordre dans l’ensemble des qualités de la voix. Les vibrations des lèvres vocales et la résonnance du vestibule déterminent le timbre du son glottique ; la configuration du pharynx et de la cavité buccale, en modifiant comme il a été constaté les sons qui se forment dans la glotte, donnent le timbre de la voix. Les plus énergiques efforts de la volonté ne permettent pas de le changer d’une manière