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institutions françaises. A mesure que nos rois avaient vu augmenter leur puissance, la centralisation leur avait subordonné partout les pouvoirs locaux, au risque de gêner ou quelquefois même d’étouffer la vie provinciale. En Guyenne au contraire, plus la suprématie anglaise s’établit, plus se fortifient les franchises municipales. Rien qui sente l’oppression d’une conquête ; le réseau administratif entoure et enveloppe sans comprimer et sans faire obstacle à l’action des villes. La souveraineté du prince est représentée par un petit nombre de hauts fonctionnaires qui ne peuvent empiéter sur les droits, nettement stipulés, des sujets. De leur côté, les communes locales observent entre elles une sorte de fédération telle que la plus puissante, Bordeaux, exerce un droit réel de protection et de défense à l’égard des plus faibles, qui deviennent ses filleules. M. Brissaud rend compte de la constitution de chacune de ces villes : elles participent du régime consulaire qui était celui des cités de Lombardie et de Toscane, et à la fois de la commune jurée du nord ; elles ont un maire, et le lien de leur association est le serment, la conjuratio ; mais elles se donnent aussi des magistrats qui sont à la fois juges, administrateurs et chefs militaires ; elles ont des assemblées souveraines où se décrètent la paix et la guerre. Telle est la récompense d’une population sensée, intelligente, avisée entre toutes, qui a su profiter très habilement d’une sorte de rivalité établie entre les deux gouvernemens d’Angleterre et de France. « Autonomie complète, liberté commerciale, richesse considérable, renom lointain, voilà, dit M. Brissaud, le résumé de l’histoire du Bordelais de 1206 à 1451. La suzeraineté anglaise a été pour cette heureuse contrée non une gêne, mais un rempart. Le pays était gardé et administré, mais non pas occupé par tes étrangers : il n’y avait de troupes anglaises que dans les occasions extraordinaires, par exemple en cas de guerre avec la France ; même il n’y avait d’Anglais domiciliés à Bordeaux qu’un, petit nombre de particuliers attirés par la douceur du climat et la prospérité générale. C’est ce qui explique qu’en dépit d’une possession de trois siècles la civilisation britannique ait laissé dans les mœurs, dans le langage, dans la tournure des idées, si peu de traces. » La réunion à la France ne se fit pas sans détriment pour La Guyenne, et l’on sait qu’il fallut, pour éteindre certains ressentimens et certains regrets, La grandeur de la France toute moderne : il ne fallut rien moins, à vrai dire, que la profonde secousse de la révolution.


A. GEFFROY.

C. BULOZ.