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à discuter la reine, à scruter le mystère d’une hérédité de pouvoir souverain qui se confond avec l’existence nationale, et tout à côté de cette reine on fait une impératrice discutée, contestée, élue par un parlement à une majorité assez modeste ! Et ce sont les conservateurs anglais qui font de ces propositions ! Le danger, c’est lord Shaftesbury qui l’a signalé en plein parlement lorsqu’il a dit : « Et quand vous aurez brisé la tradition d’un millier d’années, serez-vous surpris qu’après avoir changé votre roi en empereur, on veuille transformer votre empereur eh président ! B Les Anglais n’en sont pas là sans doute et ne sont pas si prompts à tirer de ces conséquences d’une fantaisie d’étiquette ; mais voilà ce qu’il en coûte d’appeler la discussion sur de telles questions. Une autre faute d’un ordre moins grave, mais qui peut avoir ses suites, c’est que M. Disraeli a évidemment travaillé à ébranler de ses propres mains sa situation ministérielle. Il n’a pas seulement mis sa majorité à une dangereuse épreuve, il a réveillé le parti libéral, qui jusqu’ici restait sous le coup de sa défaite ; il lui a donné des armes qui peuvent devenir redoutables. Il a offert aux chefs libéraux, à l’ancien chancelier de l’échiquier, M. Lowe, à M. Gladstone lui-même, une occasion de rentrer sérieusement dans la lutte. Qui pourrait dire que ce grief habilement exploité ne deviendra pas populaire ? C’est peut-être le premier coup dont le ministère tory s’est frappé lui-même sans le savoir, et M. Disraeli n’y aura pas peu servi par ses combinaisons ingénieuses pour arrêter la Russie en Orient !

Les majorités ne sont éternelles dans aucun pays et partout elles périssent ou elles s’exposent aux mésaventures parlementaires de la même manière, par les divisions. C’est l’histoire de la récente défaite du parti modéré en Italie et de la chute du dernier cabinet de Rome. Au moment où l’on s’y attendait le moins, M. Minghetti s’est trouvé avec une majorité démembrée, et du même coup a surgi au pouvoir le cabinet Depretis, qui représente exclusivement la gauche. Évidemment, dans des conditions ordinaires, la gauche aurait eu peu de chances, elle n’espérait pas conquérir si vite le ministère ; ce sont les modérés qui lui ont frayé le chemin et ouvert la porte. Aujourd’hui l’expérience du gouvernement de la gauche est commencée, et la question est de savoir si le ministère Depretis saura ou pourra profiter de sa victoire, quelle sera réellement sa politique, dans quelle mesure il se séparera des ministères qui l’ont précédé. Pour le moment, il en est encore à la période d’installation. Le parlement vient de prendre des vacances et lui laisse tout le temps de se reconnaître. Les députés qui sont entrés dans le cabinet viennent de se faire réélire. Le nouveau ministre de l’intérieur, le baron Nicotera, s’est empressé d’adresser aux préfets une circulaire qui n’a certes rien que de rassurant, et il a mieux fait encore, il s’est hâté de prendre des mesures énergiques contre des manifestations qui commençaient à