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puissances. C’était une réplique triomphante aux insinuations perfides du président. Plus tard, s’il y avait des conditions à faire, il serait toujours temps de s’en occuper, La chose urgente était de prendre rang et d’écarter toutes les autres candidatures. C’est ce qu’il fit ; bientôt pourtant il fallut s’expliquer. Qu’on se représente la surprise de lord Aberdeen, ministre des affaires étrangères, lorsque le prince Léopold, au mois de janvier 1830, vint lui parler d’une condition sans laquelle rien n’était fait. Le prince déclarait que, si l’île de Candie n’était pas attribuée au royaume de Grèce, il lui serait impossible d’accepter la couronne. À se voir mettre ainsi le marché en main, lord Aberdeen ne put se contenir. Ne se croyait-il pas absolument d’accord avec le prince ? Le duc de Wellington et ses collègues n’avaient-ils pas engagé sur cette question l’existence politique du cabinet ? La surprise du ministre devint presque de la colère. Il répondit sévèrement et avec hauteur : « L’île de Candie ! Jamais, nulle part il n’en a été question. Sans doute, malgré tout ce qui a été fait jusqu’à présent, vous êtes encore libre de vous retirer ; mais le refus d’annexer l’île de Candie à la Grèce n’expliquerait pas cette détermination de votre part. C’est à vous de voir si une pareille conduite est compatible avec votre dignité, c’est à vous d’en mesurer les conséquences. Les puissances n’ont pas l’intention de traiter avec vous. Elles attendent une acceptation pure et simple de leur offre ; une acceptation conditionnelle serait considérée comme un refus. »

Ce langage impérieux était de nature à faire réfléchir le prince. Ne dirait-on pas qu’il avait manqué à sa parole ? Ne s’exposerait-il pas au blâme de l’Europe ? Oui, sans doute, sa dignité personnelle était en cause vis-à-vis de la conférence de Londres, mais elle ne l’était pas moins vis-à-vis de la nation hellénique. Il se rappelait la déclaration du comte Capodistrias, il se rappelait que le président était résolu à quitter le pouvoir plutôt que de signer un pareil traité. Et ce serait lui, le prince Léopold, ce serait lui qui, pour être roi, consentirait d’avance à la déchéance d’un peuple héroïque ! Certes il y avait là une question de dignité bien autrement poignante que celle dont parlait lord Aberdeen. Aussi, lorsque la conférence de Londres, dans le protocole du 3 février 1830, lui offrit au nom des puissances alliées la couronne du nouveau royaume, le prince, poursuivi toujours par le souvenir du comte Capodistrias, ne craignit pas de renouveler auprès de la conférence elle-même les instances qui lui avaient si mal réussi auprès du ministre. En vain lord Aberdeen lui avait-il dit : « L’Europe ne veut pas traiter avec vous, » il s’obstinait à vouloir traiter avec l’Europe. Le 11 février, dans une lettre aux plénipotentiaires de la conférence, il