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paiement de la dette étrangère convenablement réglée. Qu’ils s’entendent comme ils semblent vouloir se mettre d’accord pour l’Égypte, et en cela ils rendront certainement encore service à la Turquie.

Une des aventures les plus bizarres de la politique est vraiment ce qui se passe en Angleterre depuis quelques semaines. Il y avait un ministère porté aux affaires par un mouvement décisif d’opinion à la suite des élections de l’année dernière. Les libéraux avaient été si complètement battus que leur chef, M. Gladstone, réduit à déposer son titre de premier ministre, ne trouvait rien de mieux que d’abandonner du même coup la direction de son parti pour se retirer dans les études théologiques et entreprendre une campagne philosophique contre le vaticanisme. Les conservateurs avaient obtenu une telle majorité que le ministère issu des élections, formé avec M. Disraeli, lord Derby et les principaux représentans du torysme, pouvait se considérer comme maître du pouvoir pour quelques années. Rien ne le menaçait, il ne voyait poindre à l’horizon aucune de ces questions importunes et inévitables qui peuvent diviser les partis triomphans, il n’avait qu’à se laisser vivre et à ne pas commettre trop de fautes. Eh bien ! non, cela n’a pas suffi, le cabinet anglais est peut-être en train de défaire lui-même sa situation. M. Disraeli, en homme d’imagination qui aime les coups de théâtre, qui réussit quelquefois, témoin l’affaire des actions de Suez, M. Disraeli vient de se lancer dans une aventure moins heureuse. S’il n’a pas compromis gravement son ministère, il s’est exposé à l’affaiblir, il a porté le premier coup à sa majorité, — et pourquoi ? M. Disraeli a eu l’étrange idée de soumettre au parlement la nouveauté la plus inattendue, une chose à laquelle personne ne pensait, presqu’une révolution sous une forme bizarre et puérile. Comme si ce n’était pas assez pour la reine Victoria d’être la reine, la souveraine traditionnelle et incontestée du royaume-uni d’Angleterre et d’Irlande, le premier ministre a proposé d’ajouter à ce vieux titre populaire un complément de son invention, le titre d’impératrice des Indes !

D’où est venue cette idée ? M. Disraeli, qui a écrit des romans avant d’être premier ministre et qui en écrivait même récemment encore dans ses loisirs parlementaires, s’est-il senti tout à coup pris d’une fantaisie romanesque et orientale ? A-t-il eu tout simplement la. faiblesse de se prêter à une fantaisie de cour, de se dévouer pour trancher des difficultés d’étiquette nées des alliances de la famille royale avec les familles impériales de l’Europe ? A-t-il cru sérieusement rehausser par cet appendice improvisé la dignité souveraine en Angleterre ? Toujours est-il qu’il a tenté l’aventure, et comme, après tout, il a une majorité assez forte pour résister à une crise, il a fini par arriver au bout des trois lectures, sans laisser sa proposition en chemin. Il y a donc une impératrice des Indes, et, après la reine Victoria, le prince de Galles sera un empereur