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commentée, entrerait pour quelque chose dans les rancunes péninsulaires avec le sac de Cadix et les réquisitions arbitraires du maréchal Soult ? De même pour toutes ces railleries aujourd’hui banales sur les fleuves sans eau, les ponts trop longs, les aubergistes maussades, la cuisine à l’huile et les mendians à la Murillo ; autant d’atteintes portées, paraît-il, à la dignité nationale. Malgré tout, par le fait même de sa position géographique, l’Espagne n’a vraiment de relations étendues et suivies qu’avec nous ; ce sont nos mœurs, nos modes, nos pièces, nos romans qu’elle adopte, imite ou traduit : M. Perez Galdós pourrait en dire quelque chose. Seulement les Espagnols subissent cette influence sans vouloir l’accepter, ils s’en font même un grief de plus contre nous ; ils s’indignent d’avoir trop bien copié certains de nos défauts moraux ou politiques, notre légèreté, notre inconséquence, notre amour du désordre et du changement ; ils regrettent de n’avoir pas plus près d’eux quelque autre nation de premier ordre, l’Angleterre ou l’Allemagne, dont l’influence salutaire balancerait ou remplacerait la nôtre. Reste à savoir s’ils vaudraient beaucoup plus en somme et si de ces nouveaux voisins comme de nous-mêmes ils ce se contenteraient pas d’imiter les mauvais côtés au détriment des bons.

Dans le cas présent, en dépit de leur apparence toute libérale et pacifique, les Épisodes nationaux ne sont point de nature à dissiper les préventions plus ou moins injustes des Espagnols contre la France. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les titres des divers volumes ; tous également portent sur une faute de notre politique ou un échec de nos armées ; Trafalgar, Le 2 mai, Bailen, Saragosse, Girone, Cadix, les Arapiles. A Trafalgar, la France et l’Espagne étaient encore alliées : aussi l’auteur s’empresse-t-il de faire retomber tout le poids du désastre sur le malheureux amiral Villeneuve, qui fit preuve en effet d’une triste incapacité : ce qu’il ne dit pas, c’est que bon nombre des vaisseaux espagnols évitèrent de prendre part au combat, et que, si plusieurs d’entre eux, la Trinidad, le Nepomuceno, luttèrent héroïquement en cette fatale journée, aucun ne se distingua plus que le Redoutable, vaisseau français à deux ponte qui lui seul tint tête à trois vaisseaux ennemis de haut-bord, eut plus des trois quarts de son équipage mis hors de combat, et n’abaissa son pavillon qu’après avoir infligé à l’Anglais des pertes énormes et la plus cruelle de toutes, celle du glorieux Nelson. Prenons au hasard dans les livres suivans ; partout même injustice, même partialité. Raconte-t-il le siège de Girone, M. Perez Galdós consacrera une vingtaine de pages à établir que don Alvarez de Castro, le brave défenseur de la place, fut contre le droit des gens secrètement mis à mort par les Français ; or le fait est encore à prouver. En revanche, après Bailen, il ne dira pas un mot de nos malheureux soldats prisonniers, ni des massacres de Lebrija, ni des pontons de Cadix, ni de l’île