Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particuliers, propriétaires de sapinières ? Évidemment c’est de produire des bois de sciage, autant que l’état et la situation des forêts le comportent. Les valeurs comparées de l’arbre de 0m,30 et de l’arbre de 0m,40 de diamètre suffisent à l’établir. Mais n’est-il pas avantageux d’aller plus loin ? En France, où les bois ont une végétation rapide, les sapins arrivés à cette dimension prennent des accroissemens soutenus ; l’épaisseur de la couche annuelle varie habituellement de 2 à 3 millimètres. Là par exemple où l’épaisseur de l’accroissement annuel est de 2 1/2 millimètres sur le rayon, l’arbre gagne en diamètre un demi-centimètre par an et un décimètre tous les vingt ans. En ce laps de temps, il passe de 0m,40 à 0m,50, et il double de valeur ; il en résulte un placement à 3 pour 100. Si cet accroissement se soutient encore vingt ans, l’arbre arrive à 0m,60 et il ne s’en faut pas beaucoup que la valeur soit encore une fois doublée aux prix actuels ; il y a de plus les chances de hausse. En tous cas, il est certain que les propriétaires de sapins fauchent le blé en herbe quand ils coupent des arbres bien venans d’un diamètre inférieur à 50 centimètres ; il est même probable qu’ils ont grand intérêt à les maintenir sur pied jusqu’à 60 centimètres. Telle devrait être pour eux la règle fondamentale des exploitations.

Dans les bois des communes et de l’état, c’est autre chose encore. Le sapin de 0m,60 vaut par exemple 100 francs, et celui de 0m,70 160 francs. Que le temps nécessaire pour franchir ce pas soit de vingt ou trente ans, il n’importe guère. Si le taux s’affaiblit un peu en raison de la valeur acquise, le revenu augmente beaucoup. Indépendamment de la prévision d’une hausse des prix, les communes s’enrichissent donc en conservant ces bois jusqu’à la maturité ; mais l’état ne doit pas négliger de prévoir les besoins du pays. Si les gros bois deviennent rares, c’est à lui seul qu’incombe le soin de les conserver dans les excellentes forêts qu’il possède encore. Par la loi du 23 août 1790, l’assemblée constituante a posé en principe que « la conservation des bois et forêts est un des objets les plus importans et les plus essentiels aux besoins et à la sûreté du royaume, et que la nation seule peut s’en occuper pour en former en même temps une source de revenus publics. » Ici encore, l’application des principes de 89 s’impose donc avec une force toujours plus grande. Les exploitations démesurées à l’étranger font à l’état un devoir impérieux et à tous les propriétaires de sapinières un intérêt croissant : c’est de respecter les massifs et de n’abattre que les bois réellement exploitables.


CH. BROILLIARD.