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ses femmes, qui la nuit l’entendaient gémir comme si le cauchemar ne quittait plus son lit, il y a une passion vraie. C’est ce que le vieux renard flamand se charge d’expliquer à la jeune Alice par une image digne des fabliaux de son pays, en lui faisant voir comment, froid ou chaud, le vent sert toujours à souffler le feu.

La lettre de l’empereur est enfin arrivée. Toute palpitante, Marie s’est précipitée dans la chambre du conseil pour demander aux lords leur consentement. Ceux-ci, dit l’histoire, assez embarrassés par cette question imprévue, — coup de théâtre que leur avait ménagé Simon Renard, — se défiant en outre les uns des autres et incapables de délibérer devant la reine, lui firent une réponse qu’elle traduisit très librement en annonçant à l’empereur qu’elle acceptait la main de son fils. Ici encore, M. Tennyson a fait un choix. Il ne nous a montré ni toutes les angoisses, ni tous les transports de la pauvre femme. Si l’on en croit la correspondance de Simon Renard, la passion de Marie s’était, devant les obstacles, rapidement compliquée d’une sorte de mysticisme étrange. Elle passait la plus grande partie de ses nuits en prières. Un jour même, en la présence de lady Clarence, une de ses femmes, et de l’ambassadeur espagnol, agenouillée devant l’autel élevé dans sa chambre, elle les avait invités à chanter avec elle le Veni Creator, puis, se relevant, elle leur avait prêché le divin message. Elle leur avait déclaré que le prince d’Espagne était l’élu du ciel pour la reine-vierge, et que, si des miracles étaient nécessaires afin de lui donner cet époux, ces miracles s’accompliraient. Son opiniâtre volonté devait suffire ; mais le triomphe allait être payé cher. Il lui fallait affronter le parlement et le pays. Catholiques ou hérétiques, tout le monde voyait du même œil le mariage espagnol. A la provocation que la reine lançait au sentiment national, ce fut la révolte qui d’abord répondit.

Il n’y a rien de plus difficile que de faire parler et agir des conspirateurs et des révolutionnaires, parce qu’il n’y a rien de plus banal au théâtre que des situations pareilles. La tragédie classique tourne communément la difficulté au moyen de quelque beau récit sonore. M. Tennyson aurait pu faire de même. Il a préféré nous mettre en présence des révoltés et nous faire partager les émotions de la lutte. Nous suivons le brave Thomas Wyatt dans sa marche sur Londres, depuis son château d’Alington, où il harangue les hommes du pays de Kent, jusqu’à Temple-Bar, où il succombe sur le seuil de la victoire. Tout cet acte est plein de mouvement, de vie, de clameurs populaires et de colères royales. Il débute par un entretien familier entre le maître du château et son vieux domestique. Sir Thomas Wyatt, le gentilhomme le plus accompli de son temps, attend pour soulever le peuple le signal de ses amis :