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dans la confiance de l’empereur Napoléon III, et avec les Russes il restait dans des termes de cordialité tels que M. de Stackelberg, envoyé par le tsar à Turin, pouvait lui dire : « Nous avons, monsieur le comte, des sympathies communes, nous avons des inimitiés communes : c’est plus qu’il n’en faut pour établir entre nos deux pays une bonne et solide amitié. » Dans le Piémont même, Cavour avait un ascendant presque illimité. Il ne pouvait certes empêcher le comte Solar della Margherita, l’ancien ministre de l’absolutisme, de le trouver fort révolutionnaire avec le pape, avec tous les princes italiens, même avec l’Autriche, et l’impétueux Brofferio de le trouver trop réactionnaire, trop diplomate. La masse de l’opinion voyait avec un orgueil tranquille en lui le représentant du Piémont relevé, agrandi, et à son retour à Turin il était reçu avec des effusions patriotiques. Dans le reste de l’Italie, la politique de Cavour avait produit peut-être plus d’effet encore que dans le Piémont lui-même : elle apparaissait par degrés comme l’inauguration d’une ère nouvelle. L’aimable Poerio, qui était alors aux galères du roi de Naples et dont la captivité était certes la justification la plus éclatante de tout ce qu’on avait pu dire au congrès de Paris sur le système napolitain, Poerio disait plus tard : « Quand j’appris l’alliance, pour la première fois je sentis s’alléger le poids de ma chaîne. » De Milan, de Côme, de Naples et de Rome même, des adresses arrivaient à Cavour, et les Toscans lui envoyaient un buste en marbre avec une inscription dantesque : « à celui qui sut la défendre à visage découvert ! » Et c’est ainsi qu’en peu d’années un homme, un grand libéral, arrivait à ce point où, appuyé sur son petit Piémont, salué par les Italiens, déjà renommé en Europe, il pouvait voir les premiers fruits d’une politique réparatrice, de ce qu’il avait appelé la politique « de l’action et du progrès. » Ce n’était que le premier acte du drame national conduit désormais, non plus, par le génie incohérent de la révolution, mais par le génie des combinaisons, au dénoûment à peine entrevu encore dans l’avenir, — la libération définitive de l’Italie.


CHARLES DE MAZADE.