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Capodistrias désigna le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha, qu’il connaissait de longue date. Stockmar ne nous dit pas où s’était faite cette connaissance ; mais il est facile de voir, en comparant leurs destinées, qu’ils s’étaient connus sous le drapeau russe pendant la campagne de 1813. Dès le commencement de l’année 1812, le comte Jean Capodistrias avait quitté son pays natal, les îles ioniennes, pour chercher du service en Russie. L’année suivante, le prince Léopold, dont la sœur avait épousé un grand-duc, frère du tsar, prenait part au soulèvement de l’Allemagne contre Napoléon, et servait dans l’état-major de son beau-frère. Le comte Capodistrias avait alors trente-six ans, il était déjà fort en vue dans le monde le plus aristocratique ; très souple, très insinuant, plein d’esprit et de ressources, il était signalé comme un homme rare dont la supériorité méritait toute confiance. C’est en ces termes que l’amiral Tchetchagof, après l’avoir eu à son service comme diplomate, le recommandait au général Barclay de Tolly ; c’est en ces termes que le général Barclay de Tolly, après l’avoir vu à Lutzen, à Bautzen, à Leipzig, le présentait à l’empereur Alexandre. Le prince Léopold, plus jeune que lui de quatorze ans, avait du être attiré comme tant d’autres par cette nature prestigieuse. Bien des événemens les ont séparés, un hasard les replace en présence l’un de l’autre. Avez-vous un candidat au trône de Grèce ? lui demandent les plénipotentiaires. — Je propose le prince Léopold, répond sans hésiter le comte Capodistrias.

Était-il bien sincère ? et l’empressement de cette réponse marque-t-il un choix où le cœur a sa part ? La suite de ce récit va montrer précisément le contraire. Nous allons même assister à une scène fort curieuse où l’on verra le président mettre à profit la candidature du prince Léopold, pour améliorer une situation qu’il est résolu à ne point lâcher. C’est de la haute politique et de la fine comédie. Représentez-vous une variante de Bertrand et Raton. La fable de La Fontaine est si vraie qu’elle peut fournir des interprétations de toute espèce ; bien avant l’œuvre ingénieuse de Scribe, l’illustre président de la Grèce affranchie, le comte Capodistrias en personne en avait tiré tout un scénario dont il jouait, bien entendu, le principal personnage.

Le prince Léopold, informé de la réponse faite aux plénipotentiaires des grandes puissances par le comte Capodistrias, était venu s’établir à Naples pour être plus à portée de la scène où se préparaient les événemens. De ce poste d’observation, il pouvait mieux voir les choses, il pouvait aussi communiquer plus aisément avec le comte Capodistrias. Son premier soin fut d’envoyer en Grèce une sorte de chargé d’affaires qui avait mission de s’entendre avec le