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était représentée comme une aventure que rien ne nécessitait, qui pouvait être ruineuse, qui allait exposer le pays à des sacrifices d’argent inutiles et l’armée aux humiliations d’un rôle mal défini, subalterne. Bien mieux, ce que Cavour avait eu tant de peine à conquérir devenait un acte de faiblesse, la rançon forcée de la politique révolutionnaire du cabinet, la conséquence de l’évolution libérale du président du conseil, de son alliance avec le centre gauche, avec le parti de l’action. La France et l’Angleterre, en portant leurs armes en Orient, n’avaient pas voulu laisser derrière elles une possibilité de complication en Italie, elles avaient tenu à lier le Piémont ! Ce traité était de leur part une précaution, une garantie imposée ! — Au camp de la gauche, c’était bien plus étrange encore. On se moquait de l’entrée du Piémont dans ce « concert européen, » où l’Autriche devait être un des principaux « concertans. » Le traité avec les puissances occidentales était une désertion de la cause nationale : « l’alliance, disait Brofferio, est économiquement une grande légèreté, militairement une grande folie, politiquement une mauvaise action ! » Elle devait conduire à l’abandon des principes libéraux. Le parti exalté allait jusqu’à provoquer parmi quelques sous-officiers égarés une protestation où l’on prétendait « qu’aucun gouvernement n’avait le droit de disposer des soldats italiens pour une guerre antinationale, » et où l’on disait : « soulevons-nous, jurons de ne combattre que pour l’unité de l’Italie et pour les peuples qui aspirent à revendiquer leur nationalité ! .. » Les plus modérés, ceux qui prétendaient à l’habileté, se plaignaient qu’on ne s’en tint pas pour le moment à la neutralité, une neutralité armée, qui permettrait de saisir une occasion favorable au milieu des complications dont l’Europe était menacée.

Ni les uns ni les autres ne semblaient comprendre qu’il pouvait y avoir une autre manière de servir l’Italie. Cavour laissait dire, puis, reprenant toutes ces questions, il déroulait sa politique dans des discours animés d’un souffle d’esprit nouveau. Il montrait que la neutralité ne pouvait être qu’un effacement dangereux, que le Piémont était plus intéressé que toute autre nation à arrêter la Russie dans sa marche vers la Méditerranée, et, allant droit au nœud de la situation, il se demandait si l’alliance était nuisible ou avantageuse à l’Italie.

C’était là toute la question. « Nous sommes entrés dans l’alliance, disait-il, sans abdiquer nos sympathies extérieures non plus que nos principes intérieurs. Nous n’avons pas caché notre intérêt pour l’avenir de l’Italie, notre désir de voir son sort amélioré. Mais comment, me dira-t-on, le traité peut-il servir la cause de l’Italie ? Il la servira de la seule manière possible dans la situation actuelle de l’Europe. L’expérience des dernières années et des siècles montre