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s’assurer que les secours de l’église ne lui manqueraient pas. Un matin, il avait tout réglé tranquillement avec un prêtre de la paroisse de la Madone-des-Anges, qu’il prenait souvent pour le confident de ses charités, fra Giacomo. Au dernier moment de l’entretien survenait Rattazzi, depuis peu ministre de l’intérieur, et Cavour, après avoir reconduit gracieusement le prêtre, se tournant vers son collègue, lui disait d’un ton plein de bonhomie : « Nous avons tout arrangé avec lui au cas où il m’arriverait malheur. » Et, chose à remarquer, sept ans après, à son lit de mort, le ministre piémontais, devenu le premier ministre du royaume d’Italie, voyait accourir fra Giacomo, fidèle à sa promesse de 1854 ! C’est avec cet esprit, avec ce mélange de hardiesse, de ménagemens, de simplicité, de confiance libérale, d’activité appliquée à tout, que Cavour poursuivait cette campagne religieuse, qui avec les finances, avec la diplomatie, était l’expression de sa politique.

Cette politique, à vrai dire, ne marchait pas toute seule. Elle avait à se frayer un chemin à travers les résistances, les contradictions, les oppositions passionnées, et Cavour avait à compter chaque jour avec des difficultés de toute sorte, extérieures et intérieures. Presqu’au lendemain de son avènement à la présidence du conseil, dès le commencement de 1853, les relations avec l’Autriche avaient subi une première épreuve. L’Autriche avait saisi le prétexte d’une échauffourée mazzinienne qui éclatait à Milan pour frapper les émigrés lombards réfugiés à Turin ; elle avait séquestré les biens des Casati, des Arese, des Arcanati, des Torelli et de bien d’autres. Le Piémont, après avoir rempli sans hésiter ses devoirs de police internationale en présence de l’échauffourée milanaise, ne pouvait se dispenser de protester contre une mesure de spoliation qui atteignait des hommes évidemment innocens, devenus Piémontais par la naturalisation, et dont quelques-uns étaient membres du parlement. La protestation n’avait eu aucun effet : de là, sinon une rupture, du moins un premier refroidissement, manifesté par le rappel réciproque des ambassadeurs. Au fond, Cavour ne regrettait pas trop un incident qui, moins de quatre années après la paix, semblait faire revivre la question nationale, et où l’Autriche gardait la responsabilité d’une provocation acerbe blâmée par la France et l’Angleterre. « L’Autriche, disait-il, a mis contre elle l’opinion tout entière, les gouvernemens de l’Europe. En voulant nous faire du mal, elle nous a rendu service ; nous en profiterons ! » Cette semi-rupture ne créait pas moins une situation épineuse, délicate, précaire, qui entretenait une certaine inquiétude, que tous les fauteurs de réaction en Piémont et en Europe pouvaient exploiter, et exploitaient en effet, en la représentant comme l’œuvre d’une politique d’impatience imprévoyante, d’un cabinet d’agitation