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l’incamération des biens ecclésiastiques, ou, si l’on veut, à l’expropriation de l’église, transformée en corps salarié par l’état, et il en donnait une raison singulière pour un ministre : c’est que cette mesure créerait le pire des despotismes, le despotisme administratif. « J’ai le malheur ou la bonne fortune, comme il vous plaira, disait-il, d’être ministre dans un pays où règne à un certain degré la centralisation, où le gouvernement a des moyens d’action assez nombreux. Eh bien ! je vous déclare que, si vous ajoutez à ces moyens celui dont vous parlez, vous donnerez au gouvernement un pouvoir menaçant pour la liberté… » Mais ce n’était pas la grande raison, la raison de « haute politique » qui déterminait Cavour. Le vrai motif, c’est que l’expropriation conduirait au développement, à l’exaltation de l’esprit de caste, par l’isolement complet du clergé au milieu de la société civile, par le resserrement des liens qui attachent l’ecclésiastique àJa hiérarchie sacerdotale. « L’incamération, disait-il, s’est accomplie sur une immense échelle dans quelques pays d’Europe. En France, avant la révolution, le clergé était, si je ne me trompe, aussi riche que celui d’Espagne. Il fut totalement dépouillé, et aucun débris ne lui resta de ses anciennes possessions. Qu’arriva-t-il ? Je respecte beaucoup le clergé français, et je reconnaîtrai qu’il est plus moral, plus zélé que celui d’autrefois ; mais personne ne niera qu’il ne soit beaucoup moins national, beaucoup moins libéral que ne l’était le clergé de l’ancien régime. Celui-ci était animé d’un esprit d’indépendance à l’égard de Rome, d’un certain attachement pour des maximes nationales ; il avait des instincts de liberté. C’est tout autre chose aujourd’hui : tous les faits démontrent que le clergé de France est infiniment plus ultramontain que notre clergé national. — On dira : Mais il y a un autre parti à prendre, laissons les fidèles payer leurs ministres. — Savez-vous ce qui s’ensuivrait ? Un redoublement de zèle, de fanatisme, d’ultramontanisme. Ce système existe en Irlande. Là, le clergé n’est point salarié ; ses moyens d’existence consistent dans l’aumône et les souscriptions volontaires des fidèles. Ce clergé est moins libéral encore et plus fanatique que celui de France. » Cavour pensait sur ce point comme Tocqueville, qu’il avait devancé. Aussi refusait-il de s’engager dans cette voie des expropriations ecclésiastiques et de chercher dans de pareils moyens l’équilibre de son budget. Les réformes religieuses devaient être la sécularisation légitime et progressive de la société civile, non un expédient d’hostilité et de persécution.

C’était un grand libéral qui était en même temps un grand politique. Décidé à aller jusqu’au bout, à désintéresser les vœux libéraux du pays, à enlever les redoutables questions religieuses aux passions révolutionnaires, il tenait aussi à ne rien brusquer. Il avait