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en arrangement avec le pontife. Qu’on ne pousse pas trop la lutte, bien ; mais qu’on ne fasse point un pas en arrière ! Vous savez que je ne suis pas prêtrophobe, que je suis disposé à la conciliation, que je voudrais donner à l’église des libertés plus grandes que celles dont elle jouit, que je serais disposé à renoncer aux exequatur, au monopole universitaire, etc. ; mais dans les circonstances actuelles je suis persuadé que toute tentative d’accord tournerait contre nous… » Il parlait ainsi comme il disait dans une autre circonstance, au feu de l’action : « Nous avons à combattre l’Autriche à Venise et à Milan, — et aussi à Bologne et à Rome. »

La question des réformes religieuses, des rapports avec l’église et avec Rome, devenait ainsi aux yeux de Cavour une question de nationalité autant que de régime intérieur ; elle était un des élémens de la situation italienne. Prétendre la résoudre par des transactions et des compromis, ce serait s’user inutilement dans des négociations sans fin et sans profit. Pour lui, il n’y avait qu’une solution, — la liberté, l’indépendance complète du pouvoir civil et du pouvoir religieux : simple et grande idée, qui allait bientôt se résumer dans un mot retentissant, « l’église libre dans l’état libre ! » Celui qui élevait ce drapeau dans un coin de l’Italie n’était ni un théoricien ni un révolutionnaire cédant à une fantaisie de nouveauté au risque de bouleverser les intérêts, les traditions et les croyances ; ce n’était pas non plus un tacticien dans l’embarras couvrant du prestige d’un grand mot une campagne parlementaire contre le cléricalisme. Cavour n’avait ni les passions d’un sectaire ni les subtilités d’un casuiste, ni la légèreté d’un innovateur étourdi. Il voyait dans la liberté acceptée sans subterfuge un moyen d’affranchir la société civile, — je dirai la société nationale, puisqu’il ne séparait, pas l’Italie du Piémont, — sans asservir la société spirituelle qui s’appelle l’église.

« Oh ! celui-là, disait plus tard à Rome Mgr Darboy, la future victime de la commune, celui-là était vraiment un homme hors ligne, il n’avait pas le moindre sentiment de haine dans le cœur. » Rien n’était plus vrai : le libéralisme du grand Piémontais ne procédait d’aucun sentiment de haine ou d’animosité vulgaire. Cavour n’avait rien du « prêtrophobe, » comme il le disait, et c’est ce qui a fait la supériorité, l’originalité de sa politique religieuse. Il avait inauguré, il entendait bien poursuivre jusqu’au bout les réformes dans lesquelles il voyait le développement du « statut ; » mais en revendiquant l’indépendance de la vie civile et nationale, il ne refusait pas la liberté à l’église. Il la laissait maîtresse dans son domaine, il poussait même fort loin ce sentiment de l’incompétence laïque. Lorsque des députés de la gauche, Brofferio, Asproni, demandaient que l’état surveillât l’enseignement des séminaires, il