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traités mystiques ou des livres de controverse. Elle aurait ainsi vécu obscurément de ses inspirations propres, s’enfermant en elle-même avec ses spéculations et ses rêves, s’aiguisant et se raffinant toujours, sans entretenir avec le dehors de ces communications fécondes qui complètent et renouvellent les littératures. La persécution la jeta dans d’autres voies : il lui fallut se mêler au monde pour le convaincre, elle éprouva le besoin de choisir des défenseurs qu’on écoutât. Au lieu de dévots obscurs et de théologiens renfermés, elle alla chercher, au barreau et dans les écoles, des rhéteurs, des philosophes, des jurisconsultes. Ces gens, qui avaient l’habitude des affaires et le sens de la vie, portèrent le christianisme au grand jour et le jetèrent dans la mêlée. Ils comprirent d’abord que, pour se faire entendre, ils devaient parler la langue de ceux auxquels ils s’adressaient. Ils trouvèrent naturel et légitime de combattre leurs adversaires avec leurs propres armes ; ils appelèrent la rhétorique et la philosophie au secours de leur cause menacée, et c’est ainsi que le mélange de l’art ancien et des doctrines nouvelles, qui aurait demandé beaucoup de temps et d’effort, se trouva de lui-même accompli. L’exemple une fois donné, et avec un éclat merveilleux, la littérature chrétienne n’hésita plus à se servir des ressources de l’art antique, et, comme elle avait de grandes idées à mettre dans ces formes vides, elle produisit dès le premier jour des œuvres bien supérieures à celles des rhéteurs et des sophistes païens, qui pour la plupart n’avaient plus rien à dire.

Un autre résultat, et non le moins curieux, de ce caractère indécis, incertain, qu’avait alors la persécution, c’est que les apologistes osent parler sans crainte. Malgré les menaces de la loi et la sévérité des poursuites, ils disent très ouvertement qu’ils sont chrétiens. Ils savent qu’ils s’adressent à des princes honnêtes, et ne semblent pas inquiets de la manière dont leurs plaintes seront accueillies. C’est un grand honneur assurément pour Hadrien, pour Antonin, pour Marc-Aurèle que les disciples d’une secte qu’ils traitaient avec tant de rigueur aient cru pouvoir compter ainsi sur leur justice et se soient exprimés devant eux avec cette fermeté. Leur ton n’est jamais humble ni suppliant ; quand ils demandent qu’on rende la liberté à leur culte persécuté, ils n’ont pas l’air d’implorer une faveur : ils réclament un droit. C’est ce qui frappe d’abord chez eux et ce qu’il importe de remarquer ; ils ont été les premiers à proclamer le principe de la tolérance des cultes. Avant eux, il n’en était pas question, et l’antiquité n’en pouvait pas avoir l’idée. Tant que les religions furent locales et qu’elles firent partie de l’état, on ne pouvait songer à en laisser vivre plusieurs ensemble, dans les mêmes pays, avec les mêmes droits. Pour être citoyen, il fallait