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d’indifférens que ces querelles religieuses n’intéressaient guère, qui ne tenaient pas à se décider et restaient neutres entre les deux cultes. Je ne crois pas qu’il s’en trouvât dans les rangs du peuple : là, les partis étaient tranchés, et le christianisme n’y comptait que des disciples dévoués ou des adversaires fanatiques. Les haines étaient peut-être attisées contre lui par le clergé inférieur des religions dominantes, par ces devins, ces haruspices, ces isiaques, ces prêtres mendians de Cybèle, ces initiateurs et ces purificateurs de toute espèce, qui vivaient de la dévotion publique et que le succès, du nouveau culte réduisait à la misère. On sait qu’ils hantaient les cabarets, couraient les campagnes, opéraient sur les places publiques, toujours mêlés à la foule ignorante et grossière, sur laquelle ils avaient pris beaucoup d’empire : est-il surprenant qu’ils aient fini par lui inspirer toutes leurs colères ? Ils cherchèrent surtout à la convaincre que les chrétiens étaient la cause des maux qui affligeaient l’empire, et n’eurent pas trop de peine à y parvenir. Le peuple n’avait pas l’habitude, alors plus qu’aujourd’hui, d’expliquer les fléaux qui le frappaient par des causes naturelles ; il croyait y voir une vengeance des dieux, et de quoi les dieux pouvaient-ils être plus justement irrités que du triomphe de cette religion inconnue qui venait leur. enlever leurs fidèles et faisait déserter leurs temples ? Tertullien raconte que, s’il pleuvait trop ou s’il ne pleuvait pas assez, « si le Tibre sortait de ses rivages ou si le Nil restait dans les siens, » s’il survenait une famine ou une peste, aussitôt la foule s’écriait : « Les chrétiens aux lions ! » Les mêmes cris se faisaient souvent entendre pendant les fêtes religieuses qui excitaient la dévotion générale. A la suite des bacchanales, on vit le peuple se précipiter sur les sépultures chrétiennes, « en arracher les cadavres, quoique méconnaissables et déjà corrompus, pour les insulter et les mettre en pièces ! » Mais c’était dans les théâtres et les cirques que se réveillait surtout la fureur populaire. Les spectacles étaient alors des cérémonies sacrées ; on y portait en pompe les statues des dieux, qui semblaient y présider, entourés de leurs prêtres. L’aspect de ces images vénérées devait naturellement enflammer le peuple contre les impies qui, non contens de leur refuser leur hommage, osaient encore les outrager par leurs railleries. Le principal attrait de ces spectacles consistait, comme on sait, dans les combats de gladiateurs ou de bêtes féroces ; la vue du sang versé ne manquait pas d’y produire son effet ordinaire : elle ranimait les instincts de cruauté qui sommeillent au fond des cœurs dans les foules. Cette passion cruelle, une fois éveillée, ne se contentait pas aisément et demandait toujours des satisfactions nouvelles : quel plaisir, si l’on pouvait joindre aux bestiaires ou aux gladiateurs promis