Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son mari afin qu’il décidât lui-même. « C’était à cinq heures du soir, dit Stockmar. Je trouvai le duc à demi en proie au délire ; je déclarai à la duchese qu’il n’y avait plus d’espoir dans les secours humains. Quant au testament, la seule question était de savoir si l’on pourrait relever encore les forces du malade et lui rendre assez de connaissance pour que l’acte fût valable. Wetherall fut introduit ; à la vue du vieil ami de son enfance, le mourant se ranima. Ce fut une soudaine excitation du système nerveux, un merveilleux réveil de la vie. À peine Wetherall lui eut-il adressé la parole qu’il revint complément à lui, s’informa de maintes choses, de maintes personnes, et se fit lire deux fois son testament. Alors, rassemblant ses dernières forces, il se mit en mesure de le signer. Il traça péniblement son nom Édouard au bas de l’acte, examina chaque lettre d’un œil attentif, demanda si la signature était claire et lisible, puis, rassuré à ce sujet, retomba épuisé sur le coussin. Le lendemain, il avait cessé de vivre. » C’était le 23 janvier 1820, six jours avant la mort de George III, six mois avant l’arrivée de la reine Caroline à Londres et l’ouverture tumultueuse du procès.

Ainsi, auprès du lit de mort du duc de Kent, comme auprès du lit de mort de la princesse Charlotte, Stockmar, médecin du prince Léopold, avait eu occasion de donner ses soins à des membres de la famille royale d’Angleterre. Il les donna encore à l’auguste enfant qui devait être la reine. C’est en songeant à ces graves et touchans épisodes que nous avons tenu à intituler ces études : les Souvenirs du médecin de la reine Victoria. Il nous a semblé que c’était le meilleur moyen, non-seulement de recommander l’auteur, mais de signaler l’importance et l’authenticité de ses notes. Un écrivain allemand, en des pages intéressantes, quoique beaucoup trop enthousiastes à mon avis, sur le baron de Stockmar[1], nous montre le médecin de Cobourg devenu plus tard l’ami, le conseiller, le guide de la reine Victoria et du prince Albert, traité par eux à Windsor non pas comme un hôte à qui tout est permis, mais comme un père qui exerce naturellement ses droits, ayant toujours son couvert mis à la table de la reine, arrivant quand il lui plaît, se levant quand une affaire le réclame, dispensé de toute formalité d’étiquette, souvent même quittant Windsor sans prendre congé de ses hôtes pour aller faire un tour en Allemagne, si bien que les enfans de la reine, habitués à le considérer comme un aïeul, entrent chez lui le matin, trouvent la chambre vide, et, tout chagrins de son départ, lui écrivent lettre sur lettre pour le rappeler. Comment comprendre cette position de Stockmar à la cour d’Angleterre, si l’on

  1. Voyez dans les Grenzboten, année 1863, t. III, p. 161-175.