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institutions sans lesquelles on croyait qu’une société ne peut pas vivre. Tous ces griefs ont été résumés par Tacite en un mot, quand il prétend qu’ils furent convaincus de « haïr le genre humain. »

Ce qu’il y avait de plus grave dans ces préventions dont les chrétiens étaient victimes, c’est qu’elles faisaient penser au plus grand nombre qu’ils ne valaient pas la peine qu’on s’occupât d’eux. lis étaient si haïs, si calomniés, qu’on se croyait en toute sûreté de conscience le droit de les maltraiter sans les connaître. Les apologistes se sont plaints amèrement de cette injustice. Il y eut pourtant, dès le commencement du IIe siècle, des esprits curieux ou des cœurs malades, des philosophes que séduisait l’inconnu, des dévots que les religions populaires ne pouvaient pas contenter, des vagabonds qu’une imagination capricieuse entraînait à la suite des croyances les plus singulières, qui ne furent pas rebutés par l’opinion commune, et s’avisèrent d’étudier de près cette doctrine méprisée. Beaucoup du premier coup furent gagnés, mais il s’en trouva aussi qui résistèrent. Telle était la force du préjugé que des gens éclairés et sincères lurent la Bible et l’Évangile sans les comprendre, et ne se doutèrent pas des beautés et des grandeurs ; que ces livres contenaient. C’est ce qui arriva par exemple à Celse, auteur d’un ouvrage contre les chrétiens dont Origène nous a conservé la plus grande partie. Il reproche précisément au christianisme ce que nous admirons le plus chez lui, ce qui a le plus aidé à son triomphe. Il le raille de s’adresser à tout le monde, d’appeler à lui les pauvres, d’annoncer la vérité aux simples et aux petits. Il est choqué de voir qu’il a des paroles de consolation et de sympathie non-seulement pour les malheureux, mais pour les coupables, qu’il prêche la pénitence et le pardon des péchés. Il aime bien mieux les prêtres de Delphes, qui, quand ils proclament solennellement leurs mystères, n’invitent à la cérémonie sainte « que les gens dont les mains sont pures de tout crime et dont l’âme n’est souillée d’aucun remords. » Le Christ a dit, au contraire : « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés. » Il écoute de préférence le publicain, qui se tient à la porte du temple, qui n’osé pas lever les yeux au ciel et frappe sa poitrine en disant : « Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur ! » — « Voilà les gens, dit Celse avec indignation, qu’ils appellent à eux ! voilà ceux qui, à les entendre, doivent avoir les premières places dans le royaume de Dieu ! Mais que sont les pécheurs, sinon des larrons, des empoisonneurs, des assassins, des sacrilèges, des violateurs de toutes les lois divines et humaines ? S’y prendrait-on autrement, si l’on voulait composer une troupe de voleurs ? » Celse se vante plusieurs fois de connaître les livres sacrés des chrétiens : « J’ai tiré tous mes argumens de vos Écritures ; je n’ai pas besoin d’autre