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Cherchons à savoir ce qu’entendaient les jurisconsultes romains par ces crimes, et comment on pouvait prouver que les chrétiens en étaient coupables.

Il paraît résulter des explications données par Tertullien qu’on accusait les chrétiens de sacrilège, parce qu’ils refusaient de rendre hommage aux dieux de Rome, — Deos non colitis ; — mais cette interprétation ne se concilie pas facilement avec les lois romaines telles que nous les avons aujourd’hui. Elles appellent sacrilège le crime de ceux qui dévastent les temples et en enlèvent les objets sacrés. Ce crime est, on le voit, assez restreint, et, pour empêcher qu’on ne l’étende, la loi a grand soin de définir ce que le mot « objets sacrés » veut dire. Il ne s’applique pas à tout ce que contient un temple, « et si, par exemple, un particulier y a déposé son argent, celui qui le vole ne commet pas un sacrilège, mais un simple larcin. » Il en résulte qu’aux termes de la loi ceux-là seuls étaient coupables de sacrilège parmi les chrétiens qui se laissaient entraîner, comme Polyeucte, par l’ardeur de leur zèle et allaient briser les idoles dans les temples : or de telles hardiesses étaient rares et l’église les condamnait. Il est donc probable que, si la loi n’avait que le sens que lui donnent les jurisconsultes, on n’a pas du avoir l’occasion de l’appliquer souvent aux chrétiens ; mais peut-être en avait-on forcé la signification et étendu la portée au IIe siècle. Nous ne voyons pas que, pendant la république, personne se soit avisé de poursuivre devant les tribunaux ceux qui doutaient de l’existence des dieux ou qui se permettaient de rire de leurs légendes ; ni Lucilius, ni Lucrèce, n’ont été inquiétés pour leurs vers impies. C’était alors une maxime parmi les gens sages qu’il faut laisser aux dieux le soin de venger leurs offenses, deorum injuriœ dis curœ ; mais on dut devenir plus attentif et plus scrupuleux quand la vieille religion fut menacée par le christianisme. L’approche de l’ennemi rendit sans doute la défense plus vigilante : ce qui avait semblé jusque-là fort innocent devint criminel. On nous dit que les deux traités de Cicéron sur la Nature des dieux et la Divination furent brûlés solennellement avec la Bible par l’ordre de l’empereur, « parce qu’ils ébranlaient l’autorité du culte national. « Il serait curieux de savoir de quelle loi on se servit pour autoriser cette exécution, et si ce n’était pas quelque application nouvelle de la vieille loi de sacrilège. Ainsi étendue, elle pouvait atteindre les