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s’instruire et de nuire à la clarté et à l’intérêt du récit. Sans doute le sujet que traite M. Aube est obscur, difficile, et peut soulever des controverses sans fin ; je crois pourtant qu’il s’en est exagéré les obscurités. Quelque désir qu’on ait de n’être pas dupe, il y a dans cette histoire incertaine, quand on la prend uniquement dans les sources, quelques points qu’on peut affirmer sans témérité, et il me semble possible, à l’aide de M. Aube lui-même, de faire assez aisément la part de l’ombre et du jour.


I

Il importe d’abord de savoir, quand on veut connaître l’histoire des persécutions, comment la législation romaine traitait les religions nouvelles, et s’il y avait alors des lois qu’on pût appliquer aux chrétiens. C’est la question par laquelle il convient d’entamer cette étude ; c’est aussi une de celles sur lesquelles M. Aube ne se prononce pas avec assez de netteté. Tantôt (p. 189) il refuse de croire ceux qui prétendent qu’on pouvait invoquer contre les chrétiens la loi sur les cultes étrangers, celle sur les maléfices, sur le sacrilège, etc. ; « s’il en était ainsi, dit-il, on ne comprend pas qu’un seul d’entre eux eût survécu dans l’empire. » Tantôt au contraire (p. 340) il affirme « que les textes de la loi de majesté (Lex Julia majestatis), de la loi de Veneficiis, de la loi contre les conjurations ou les auteurs de tumultes populaires, et tant d’autres encore dans la forêt touffue de la législation pénale de Rome, pouvaient être directement ou indirectement tournés contre eux. » Cette fois il a pleinement raison ; les magistrats romains, s’ils étaient ennemis du christianisme, ne manquaient pas d’armes pour le frapper. La législation républicaine et les constitutions impériales les leur fournissaient en grand nombre : il faut savoir seulement dans quelle condition et de quelle manière il était d’usage de s’en servir.

On discutait beaucoup au siècle dernier pour savoir si les Romains étaient tolérans ou non. Voltaire soutenait qu’ils n’avaient jamais persécuté personne, « qu’ils acceptaient les dieux de tous les peuples, et que cette sorte d’hospitalité divine fut le droit des gens dans toute l’antiquité. » D’autres répondaient en énumérant, d’après Tite-Live, les temples qu’ils avaient renversés et les dieux qu’ils avaient proscrits. Le fait est qu’ils avaient tous raison et que en principe les Romains devaient être, comme tous les peuples anciens, fort tolérans hors de leur pays, mais assez intolérans chez eux. Les religions alors étaient toutes locales ; c’était une croyance commune que chaque état possède ses divinités particulières, qui lui appartiennent en propre, et qui, en échange du culte qu’elles