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cela qu’il fût assujetti à un examen scientifique. Dans le Système industriel, il revenait encore sur la nécessité d’une « doctrine nouvelle appropriée à l’état des lumières. » Quant à la formation de cette doctrine, si nécessaire au régime industriel, il en excluait les lettrés, les artistes, les métaphysiciens, tout aussi bien que les théologiens[1] ; mais il en excluait également les savans, auxquels manque l’esprit de généralisation. Ce rôle devait appartenir essentiellement « aux philosophes positifs[2]. » Pour les métaphysiciens, les lettrés, les publicistes, leur rôle devait être non pas l’invention, mais la vulgarisation ; les théologiens eux-mêmes ne seraient pas exclus. Saint-Simon faisait remarquer l’analogie de notre temps avec celui « où la partie civilisée de l’espèce humaine a passé du polythéisme au christianisme. » La religion chrétienne a été organisée, disait-il, par les philosophes d’Alexandrie, et répandue par des hommes de toutes les classes. Ce fut une des idées fondamentales du saint-simonisme de comparer sans cesse la chute de la société du moyen âge à la chute du polythéisme, et, poursuivant l’analogie, de conclure à la nécessité d’un dogme nouveau.

Le rôle de réformateur religieux s’accuse de plus en plus dans les lettres qui suivent, et, chose étrange, c’est au roi lui-même que Saint-Simon s’adresse (à Louis XVIII !) pour opérer cette révolution religieuse qui commence à solliciter son esprit : « Sire, disait-il, le principe fondamental du christianisme commande aux hommes de se regarder comme des frères et de coopérer le plus complètement possible au bien-être les uns des autres[3]. » Mais lorsque Jésus-Christ a posé ce principe, la société était trop imparfaite pour qu’il pût servir à l’organiser comme principe dirigeant. Il ne put agir qu’indirectement, comme principe modificateur, sans en prendre la direction. En d’autres termes, le principe chrétien n’a jamais été qu’un principe moral et non un principe social proprement dit. Mais « le divin auteur du christianisme » n’a pas du vouloir borner son œuvre à n’être qu’une critique du système politique ; c’est aujourd’hui qu’il faut tirer les conséquences positives de ce principe. Ces conséquences sont : que le pouvoir temporel appartienne « aux hommes utiles, laborieux et pacifiques, » et le pouvoir spirituel aux hommes qui possèdent les connaissances utiles. Ainsi le système industriel et scientifique n’est autre chose que le christianisme lui-même devenu constitution politique, car la « doctrine de la fraternité ne peut pas être établie tant que le pouvoir restera entre les mains des guerriers et des théologiens, » puisque les

  1. Système industriel, t. XXII, p. 31.
  2. Ibid., p. 58.
  3. Lettre au roi (Œuvres, t. XXII, p. 229).