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vaut mieux que la révolution[1]. « Il ajoutait enfin que la royauté n’avait nullement à se préoccuper du prétendu dogme de la souveraineté du peuple, que ce dogme n’était qu’une antithèse à celui du droit divin ou de la grâce de Dieu, que ces deux dogmes étaient réciproques : « ce sont les restes de la longue guerre métaphysique qui a eu lieu dans toute l’Europe contre les principes du régime féodal. Une abstraction a dû provoquer une autre abstraction. La métaphysique du clergé a mis en jeu la métaphysique des légistes ; mais cette lutte est aujourd’hui terminée[2]. »

Tout en faisant appel à la dictature royale pour substituer le régime industriel au régime aristocratique et théologique, Saint-Simon, par une étrange contradiction, s’efforçait en même temps de rester fidèle aux principes de l’économie politique, en prouvant que son système a pour but de détruire les abus du gouvernementalisme. Il y a deux sortes de gouvernemens : le gouvernement sur les choses, le gouvernement sur les hommes ; le premier, fondé sur des principes scientifiques, est l’ennemi de tout arbitraire ; le second, fondé sur la volonté, est au contraire essentiellement arbitraire ; le nouveau système consiste à substituer le gouvernement des choses au gouvernement des hommes, le système administratif au système politique, les « capacités » aux « pouvoirs. » La fonction propre au gouvernement, qui est de maintenir l’ordre matériel, ne sera plus qu’une fonction « subalterne. » Saint-Simon se représente le gouvernement de la société nouvelle sur le modèle des grandes compagnies industrielles, de la Banque de France par exemple. Il emprunte encore un exemple remarquable à l’École polytechnique. Dans cette école, du moins à l’origine, les professeurs étaient en même temps administrateurs. Ceux qui travaillaient à produire (c’est-à-dire à répandre la science) étaient en même temps ceux qui gouvernaient, car c’était leur intérêt que tout allât le mieux possible ; quant à la tâche de maintenir l’ordre, elle était entre les mains d’un agent estimable, mais subalterne, car ce n’était en réalité qu’une fonction subalterne. Depuis, le despotisme de l’empire a tout changé : un état-major a remplacé le corps des professeurs. « L’ordre primitif et naturel a été interverti, la partie subalterne de l’établissement en est devenue la tête, et les fonctions vraiment importantes ne sont plus qu’en seconde ligne[3]. » Dans le nouveau système politique au contraire, les affaires seront dirigées par les capacités compétentes : les sciences, les beaux-arts, les arts et métiers. Il n’y aura plus de place pour l’arbitraire.

Qu’y a-t-il de moins arbitraire que la vérité ? or l’administration

  1. Œuvres, t. XXII, p. 254.
  2. Ibid., t. XXI, p. 211.
  3. Ibid., t. XX, p. 205.