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principes. Il ne réfléchissait pas que, si dans le fait le commanditaire engage ses fonds dans une industrie, c’est qu’il le veut bien : aucune loi ne lui en fait l’obligation ; c’est par l’espérance de plus gagner qu’il se fait bailleur de fonds au lieu de se borner au rôle de simple prêteur ; mais il peut, s’il le veut, se contenter de ce dernier rôle ; il peut faire valoir lui-même ses capitaux, il peut même les consommer improductivement. Or il en est absolument de même du propriétaire foncier. S’il plaît à celui-ci de commanditer son fermier en s’associant avec lui, en partageant les bénéfices et les pertes, en lui permettant d’emprunter sur la terre, il en est libre ; la loi ne s’y oppose pas ; mais elle ne pourrait le lui commander sans faire pour la terre ce qu’elle ne fait pas pour le capital industriel, ce qui détruirait précisément la parité que Saint-Simon veut établir entre l’une et l’autre. Que ces mesures soient bonnes ou mauvaises, c’est une autre question ; mais en supposant qu’elles soient bonnes, et qu’elles n’aient d’autre obstacle que le préjugé et l’habitude, ce sont les propriétaires fonciers qu’il faudrait persuader, et il est inutile d’armer pour cela le gouvernement d’une loi nouvelle et de compromettre le principe de la propriété.

De cette réforme sociale, Saint-Simon tirait en outre une réforme politique qui ne serait plus d’aucune importance aujourd’hui, mais qui en avait une grande à cette époque., Il faisait payer les impôts fonciers aux travailleurs, c’est-à-dire aux fermiers, et par là leur assurait les droits politiques au détriment des propriétaires. C’était un des moyens qu’il comptait employer pour assurer la prépondérance politique à la classe des producteurs.

Enfin un troisième projet de loi avait pour objet la mobilisation du sol. Saint-Simon, toujours plus généralisateur que praticien, n’entrait dans aucun détail sur cette réforme : il se contentait de signaler le rôle important que devaient jouer, disait-il, les banques foncières et territoriales, les banques, à la vérité, avaient été déjà expérimentées sans succès ; mais la cause de cet échec était, suivant lui, dans les obstacles opposés par notre législation au transfert des propriétés : obstacles que la nouvelle législation aurait précisément pour but d’aplanir. Par cette mobilisation du sol et par la faculté accordée aux fermiers d’engager les fonds, Saint-Simon voyait 30 milliards versés dans la circulation et une immense impulsion donnée aux affaires. En résumé, son système consistait à transformer la propriété territoriale en propriété industrielle, la propriété immobilière en propriété mobilière.

Une des conséquences de ce changement devait être de porter un coup décisif à l’influence des légistes, dont toute l’importance repose sur la propriété foncière, la seule dont les jurisconsultes se soient occupés. En effet, le changement dans la nature de la