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repos, avec le repos l’aisance, et, comme source d’aisance, l’industrie. » Cette pensée avait été, paraît-il, très remarquée. M. de Montlosier, de son côté, par son opposition même, n’avait pas peu contribué à mettre en relief cet aspect nouveau de la société. « Nous allons voir, écrivait-il avec une sorte d’indignation, s’élever au milieu de l’ancien état un nouvel état, au milieu de l’ancien peuple un nouveau peuple… Les propriétés mobilières se balancent avec les propriétés immobilières, l’argent avec les terres, les villes avec les châteaux. » Enfin Jean-Baptiste Say avait été amené, dans son économie politique, à faire de l’industrie l’objet fondamental de la société. Cependant aucun de ces écrivains n’avait tiré parti de ces idées, et n’en avait fait une application sérieuse à la politique. Ce fut là l’œuvre et la pensée principale de MM. Comte et Dunoyer. Ces deux écrivains, alors tout jeunes, avaient publié en 1814 un journal exclusivement politique sous le titre de Censeur. Ce journal, très hostile à la restauration, fut supprimé par les Bourbons. Ce fut pendant les loisirs que leur procura cette interruption violente de leurs travaux, que nos jeunes libéraux furent amenés à des réflexions qui firent une révolution dans leurs idées. Ils se demandèrent « si l’opposition libérale, si la politique constitutionnelle avait un objet bien déterminé. » Ils furent obligés de convenir « que le parti libéral ne savait pas et ne se demandait même pas où la société doit tendre, et en vue de quel objet général d’activité elle devait être constituée. » Ils s’appliquèrent donc à découvrir « le but d’activité sociale, » et reconnurent que c’était « l’industrie. » De l’aveu de M. Dunoyer lui-même, « le Censeur avait été un ouvrage de pure polémique et de politique acerbe, » sans aucune préoccupation économique. Ils comprirent enfin que ce qu’il fallait attaquer, c’étaient « les passions révolutionnaires, militaires, ambitieuses, dominatrices, » et que c’était vers « le travail » qu’il fallait diriger l’activité des intelligences. On voit que la pensée fondamentale du Censeur européen était exactement la même que celle de Saint-Simon dans les premiers temps. M. Charles Dunoyer fait remarquer cette analogie sans méconnaître du reste l’originalité des vues de Saint-Simon, qui, disait-il, avait été conduit « de son côté » aux mêmes résultats. Ce fut d’ailleurs la même année, en 1817, que le Censeur européen d’une part, et de l’autre, quelques mois après, l’Industrie, de Saint-Simon, posèrent les principes de cette nouvelle doctrine politique.

On retrouve non-seulement dans le Censeur européen l’idée fondamentale du saint-simonisme à son origine, à savoir l’idée industrialiste, mais encore la distinction importante, et devenue plus tard si redoutable par les conséquences qu’on en a tirées, des