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nullement le détail de ces idées, l’enchaînement systématique qui les unit, et les phases diverses qu’elles ont parcourues. Aujourd’hui, grâce à une publication importante et encore en voie d’exécution, les principaux documens de l’œuvre sont entre nos mains et rendent facile un travail qui eût été autrefois des plus compliqués. Cependant, même dans cette nouvelle collection, due au zèle et à la foi des derniers survivans de la célèbre secte, c’est encore l’étoile d’Enfantin qui a fait pâlir celle de Saint-Simon.

C’est en effet M. Enfantin qui, conservant jusqu’après sa mort son rôle de grand-prêtre et de grand chef dans la petite église saint-simonienne, a été par son Testament l’inspirateur de cette édition nouvelle. C’est lui qui a institué pour cette œuvre une commission composée des membres les plus dévoués et les plus fidèles, dont quelques-uns ont déjà disparu. C’est lui qui a laissé des fonds pour faire les frais de cette publication. Ajoutons qu’il a légué à la Bibliothèque de l’Arsenal toute sa bibliothèque, tous ses papiers et les archives les plus secrètes de l’église, archives encore fermées aujourd’hui à la curiosité, mais qui permettront plus tard aux savans d’en reconstruire avec la dernière précision l’histoire intérieure. Enfantin étant donc le véritable auteur et, quoique mort, l’inspirateur toujours vivant de la publication récente, il n’est que naturel qu’il s’y soit fait une place importante. Le principal but qu’il paraît s’y être proposé a été de donner une grande idée de son rôle, non-seulement par la réimpression de ses discours, de ses articles du Globe, de ses opuscules, mais surtout par la publication de sa correspondance, correspondance volumineuse dont l’intérêt n’est pas égal à l’étendue. Il a voulu, selon toute apparence, laisser cette impression, que depuis 1831, époque où il paraissait avoir disparu de la scène, il n’a pas cessé de gouverner son école, et par elle, d’influer sur l’histoire du monde. On y reconnaît son habileté à tirer parti de tout, à tourner à lui tout ce qui se passait au dehors, à interpréter dans le sens saint-simonien tous les événemens, et à transformer l’isolement réel où il était en une sorte d’influence occulte, d’autant plus efficace qu’elle était plus cachée. Tandis qu’en réalité l’église saint-simonienne était vraiment dissoute, et s’était noyée dans le mouvement général de la société, tandis que la foi positive des saint-simoniens avait disparu, ne laissant après elle qu’une vague disposition d’humanitarisme et de religiosité commune à beaucoup d’écoles, tandis que le lien étroit et précis qui constitue une secte s’était relâché, chacun de son côté allant où l’appelait son goût et son génie, — en un mot, tandis que le saint-simonisme était mort et bien mort, Enfantin croyait ou faisait semblant de croire, et voudrait encore nous faire croire aujourd’hui qu’il était l’oracle caché d’où tout partait, que tout ce qui