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RAYMONDE.

reste, le gamin fit éclater brusquement son désespoir. — Grâce, monsieur le garde ! hurlait-il en sanglotant, je ne recommencerai plus… Rendez-moi la hachette ; si je rentre sans la rapporter, je serai battu !

— Tu n’auras que ce que tu mérites, mon gachenet (mon garçon) ; où demeures-tu ?

Mais cela ne faisait pas l’affaire du gachenet ; au lieu de répondre, il tordit désespérément ses mains dans sa blouse en lambeaux et remplit la combe de ses lamentations. — Ma hachette ! s’exclamait-il, grâce !… ma hachette !…

Un bruit de branches froissées et le trot d’un cheval sur le chemin qui allait de la combe à la route de Vivey, attira soudain l’attention des trois hommes. Brusquement, entre deux cépées de noisetiers, apparut une jeune fille montée sur un petit cheval breton au poil bourru, à l’allure nerveuse, et qui bondissait à travers les branches avec la même fougue que s’il eût galopé dans sa lande natale. M. Noël et les forestiers, surpris de cette intrusion inattendue, se tournèrent ébahis vers l’inconnue dont la jeune et impérieuse beauté les frappa vivement. Elle était rousse, et sa luxuriante chevelure à demi dénouée par les caresses des branches, avait roulé de dessous sa toque hongroise jusque sur le corsage de sa robe d’amazone, où elle flottait mêlée à des rubans bleus. Son visage, d’une blancheur rosée, était éclairé par de grands yeux fauves brillans sous de longs cils. Les narines frémissantes, la bouche dédaigneuse, agitant une cravache dans sa petite main nue, elle avait profité de la stupéfaction des forestiers pour pousser son cheval entre eux et le délinquant.

— Il faut que vous soyez bien lâches, s’écria-t-elle d’une voix mordante et indignée, de vous mettre trois pour faire pleurer cet enfant !

M. Verdier ayant le premier retrouvé son sang-froid, ébaucha gravement le salut militaire. — Vous êtes un peu prompte à juger les choses, mademoiselle, répondit-il ; ce jeune drôle fabriquait des fagots avec les plus belles gaules du taillis.

— Où est le mal ? repartit la jeune fille, la forêt n’est-elle pas à tout le monde ?

— Nenni, la forêt est à l’état, et couper du bois en forêt, trois voler l’état.

— L’état ne sera pas ruiné parce que cet enfant aura cassé c’est ou quatre méchantes branches… Va-t’en, petit, et laisse-les dire. Le gamin coula un regard sournois dans la direction de sa protectrice et sanglota d’un ton piteux : — Ils ont pris ma hachette !

— Tiens, reprit-elle en tirant rapidement une pièce d’or de son porte-monnaie, ramasse et décampe !