Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
726
REVUE DES DEUX MONDES.

— Et de quoi voulez-vous que nous parlions ? Ne lui avez-vous pas donné votre temps et même votre argent ? Vrai, Sœurette et moi, nous ne dirons jamais assez toute la reconnaissance que nous vous devons.

M. Noël frappa violemment du pied. — Vous ne me devez rien ! s’écria-t-il avec colère, ce que j’ai fait, je l’ai fait pour ma propre satisfaction !… J’avais plaisir à voir les belles facultés de votre garçon, comme vous en auriez à voir pousser un bel arbre. Je le soignais, je l’entourais de bonne terre… Ça me réchauffait le sang, je trouvais les journées moins longues. C’était de l’égoïsme, voilà tout ! Mais vous ne me devez rien, entendez-vous ! Rien !… n’en parlons plus.

— Je n’en parlerai plus, si cela vous contrarie, répondit le forestier, ébahi de l’humeur rageuse du bonhomme, je me contenterai d’y penser… mais chut ! écoutez donc !

Du fond de la combe voisine un bruit sec venait de monter, quelque chose comme le fracas d’une branche qu’on brise. — Le garde-général et le brigadier se lancèrent un coup d’œil d’intelligence.

— En voilà un là-bas, grommela M. Verdier, qui n’attend pas l’aide du vent pour me faire des chablis.

— Ça vient de la Combe-aux-Fontaines, murmura le brigadier.

— Nous allons bien voir, reprit Verdier en mordant sa moustache ; gagnons la combe et tâchons de prendre la pie au nid… Veillez sur Vagabonde, monsieur Noël, et empêchez-la de bavarder.

Le bonhomme noua son mouchoir en guise de laisse au collier de sa chienne, et lui ayant administré au préalable l’injonction de tenir sa langue, il enfila derrière les forestiers une coulée qui dévalait tout d’un jet jusqu’au fond de la combe. Le bruit des pas était amorti par la mousse qui veloutait le sol, de sorte que le coupeur de bois, tout occupé à sa besogne, n’entendit rien venir. Les trois hommes tombèrent sur lui au moment où il achevait de briser la plus haute branche d’un érable. Vagabonde, se dérobant à la surveillance de M. Noël, prit son élan avec de si frénétiques aboiemens que le délinquant ahuri laissa tomber sa hachette.

Ce délinquant était un pauvre petit diable de treize ans, maigre et alerte comme un singe, avec des cheveux embroussaillés tombant sur sa figure fûtée et sournoise. Terrifié par la menaçante apparition des forestiers, il resta d’abord bouche bée, ouvrant de gros yeux ronds comme un chat pris en flagrant délit.

— Drôle ! s’écria le garde-général.

— D’où sors-tu, vermine ? ajouta rudement le brigadier qui s’était emparé de la hachette ; tu vas me dire ton nom, et d’abord je confisque ton outil.

À la pensée de cette confiscation, qui l’inquiétait plus que tout le