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Aux entours, la forêt en plein réveil berçait la méditation de M. Noël avec ses longs murmures confus et harmonieux ; des milliers d’insectes bourdonnaient dans les ronces, les piverts martelaient du bec l’écorce des hêtres, et les geais se chamaillaient dans les ramures. Tout à coup, du fond d’un village enfoui dans un creux de vallée, un tintement de cloches argentines s’égrena sous la futaie. C’était une volée tapageuse et gaie comme on en sonne aux messes de mariage. M. Noël prêta l’oreille, secoua ses longs cheveux blanchis, et de ses larges narines s’échappa un soupir sifflant et plaintif…

Vous est-il arrivé de retrouver la clé perdue d’un antique meuble fermé depuis des années, et de faire jouer lentement le pêne de la serrure rouillée ? Le tiroir ouvert avec effort révèle soudain ses cachettes pleines de vieilles choses, encore rangées dans l’ordre où on les avait laissées il y a un demi-siècle. C’est comme une résurrection : les lettres jaunies, le livre aux pages piquées, les rubans aux nuances passées, le flacon encore imprégné d’un parfum démodé, toutes ces vieilleries sont autant de revenans doux et tristes d’un monde disparu. — Hélas ! chacun de nous porte dans un recoin de son cœur un de ces tiroirs secrets, pleins de reliques aux parfums amers ; personne n’en soupçonne l’existence, la cachette reste oubliée pendant des années, jusqu’à ce qu’un hasard fasse retrouver la clé qui ouvre la serrure rétive. — La musique lointaine des cloches avait été pour M. Noël le magique « Sésame, ouvre-toi ! » poussant le ressort d’une porte mystérieuse et longtemps close.

Était-ce le courant de la source qui s’était troublé ou un brouillard qui avait passé sur les yeux du bonhomme ?… Il ne voyait plus dans le réservoir que du sable et de la boue, et il songeait avec dégoût aux monotones saisons qui avaient suivi ces premières années d’illusions. Maintenant la perspective que le vieux professeur apercevait dans le lit de la source était d’une tristesse navrante : une maisonnette isolée et morne au coin d’un bois, une fin dévie solitaire et maussade entre un chien fantasque et des livres moisis.

Il en était là de sa chagrine et misanthropique méditation, quand la chienne lança un aboiement sonore et soudain bondit sous les arbres en se tortillant d’une si merveilleuse façon que sa queue rejoignait presque sa tête. — Là ! là ! cria une voix dont les intonations traînantes trahissaient l’accent langrois, oui, tu es une bonne fille, tu as plus d’esprit qu’une personne… Hop ! monsieur Noël, dormez-vous ou ne connaissez-vous plus vos vieux amis ?

Le bonhomme tressaillit, et, relevant la tête, aperçut devant lui le garde-général d’Auberive, suivi de son brigadier. Le garde-général, grand, maigre, les moustaches et les cheveux coupés en