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allongée que celle des autres mammifères. Les reptiles ont une secousse musculaire dont la durée est très grande et la lenteur considérable à toutes ses phases. La cause en est sans doute dans le peu d’intensité des phénomènes chimiques dont le muscle d’un reptile est le siège. Rien n’est plus instructif à cet égard que l’étude du système musculaire de la tortue. On peut par un temps froid couper la tête d’une tortue et conserver l’animal vivant pendant deux ou trois semaines. On voit ses muscles se contracter encore pendant tout ce temps, quoique les fonctions du système nerveux soient presque totalement abolies. Le muscle cardiaque des animaux vertébrés inférieurs, tels que la grenouille, offre aussi une longévité remarquable. Si l’on évite l’évaporation, le contact des substances irritantes, comme l’ammoniaque ou l’acide carbonique, on peut conserver vivant pendant plusieurs semaines un cœur de grenouille arraché de la poitrine, l’organe ainsi isolé conservant le mouvement rhythmique de systole et de diastole dont il était animé lorsqu’il était en place. C’est qu’en effet la vie n’est pas une force idéale siégeant dans l’ensemble de l’organisme. Elle réside dans chacun des tissus dont cet organisme se compose, et l’on comprend très bien que la mort puisse frapper à des heures différentes tel ou tel de ces tissus.

Pour explorer la secousse musculaire chez l’homme, on ne peut avoir recours à des moyens qui nécessitent une mutilation ; il faut opérer d’une autre manière. M. Marey s’est servi d’une pince dite myographique, qui prend entre ses mors la partie la plus renflée d’un muscle, au pouce par exemple, ou au bras. Le muscle, en se contractant, se gonfle par suite de la formation d’une onde musculaire. Le gonflement soulève la pince myographique, laquelle appuie sur un petit appareil dit tambour à levier. L’air contenu dans le tambour à levier fait osciller un levier-aiguille, selon qu’il est plus ou moins refoulé par le déplacement de la pince myographique, et l’on peut ainsi inscrire les contractions du muscle sur un cylindre enregistreur.

Ainsi donc la méthode graphique dans l’étude des mouvemens a une importance extrême, non-seulement par les résultats acquis, mais encore par les espérances qu’elle donne. Les appareils qu’elle exige ne sont ni très coûteux, ni très difficiles à manier, et, mis en œuvre avec méthode et ingéniosité, ils aideront à résoudre toutes les questions délicates que soulève l’étude du mouvement. Déjà M. Marey l’a appliquée au vol de l’oiseau et de l’insecte, et tout permet d’espérer que le problème de la locomotion aérienne pourra quelque jour être résolu par l’emploi des appareils enregistreurs. C’est une légitime espérance, et ce jour-là la science aura réalisé au profit de l’humanité un des plus grands progrès qu’on peut attendre d’elle.


CHARLES RICHET.

Le directeur-gérant, G. BULOZ.