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de passer contrat avec quelques gentilshommes, non moins riches que braves, qui se chargeaient, moyennant finance, de lever et d’entretenir chacun un régiment. Par économie, ils ne racolaient que des gens de la plèbe. Il n’y eut nul changement sous ce rapport lorsque la couronne prit le recrutement à son compte, si bien que, en cas de besoin extrême, les sergens allaient chercher dans les prisons les détenus pour dettes, parfois même des hommes condamnés pour délits communs. Par économie encore, l’engagement était à vie. Au contraire, le corps d’officiers ne comprenait que des nobles, en sorte qu’il y avait dans l’armée ce contraste étrange que les hommes de troupes appartenaient aux plus basses classes et le commandement à l’élite de la nation. De là vint aussi la vénalité des grades. L’armée était encore en 1870 à peu près ce qu’elle avait été un siècle auparavant. Toutefois l’enrôlement à vie avait disparu. L’engagé volontaire se liait au service pour douze ans d’abord; il renouvelait ensuite son contrat pour onze ans, après quoi il passait dans la catégorie des pensionnaires et n’était plus rappelé sous les armes qu’en temps de guerre et encore pour tenir garnison dans les villes fortifiées.

L’armée régulière, recrutée comme il vient d’être dit, était sous les ordres du commandant en chef pour la discipline et du ministre de la guerre pour le reste de son organisation. La milice était sous les ordres des lords-lieutenans de comté. Il n’en fut question de façon sérieuse que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. D’après l’acte qui l’instituait, ce devait être une force locale recrutée par voie de tirage au sort, et commandée par les propriétaires ruraux sous l’autorité du lord-lieutenant, qui en nommait les officiers. Quoiqu’elle ait eu un semblant d’organisation pendant les guerres du premier empire, la milice s’était réduite presqu’à rien. Un acte, voté chaque année par le parlement depuis 1829, a suspendu l’opération du tirage au sort, que l’on n’avait peut-être jamais prise au sérieux. En 1870, le recrutement se faisait par engagemens volontaires comme pour l’armée régulière, par conséquent la milice faisait concurrence à celle-ci sur le marché. Enfin des volontaires à pied et à cheval (yeomanry) auraient fourni à l’occasion un supplément de troupes, d’un effectif fort nombreux sans doute, mais plus disposées à considérer le métier des armes comme une distraction que comme une affaire sérieuse.

Ainsi, pour résumer, une armée d’engagés volontaires, peu nombreuse, comptant beaucoup d’hommes vieillis sous l’uniforme, avec un corps d’officiers que l’éducation et la fortune tenaient à distance du soldat, — peu ou point de réservistes pour combler les vides en temps de guerre, — une milice mal organisée, que le gouvernement ne pouvait faire sortir du royaume, — des volontaires aussi