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comme s’il sortait de convalescence, avec des cris de joie et au son des trompettes, pour le féliciter de son rétablissement. De même, au témoignage de Marsden, cité par M. Lubbock, les indigènes de Sumatra semblent croire qu’ils descendent des tigres et les appellent respectueusement : les ancêtres.

La théorie de M. Spencer a l’avantage de rendre parfaitement compte du culte rendu partout, pendant les époques de civilisation primitive, à ces monstres complexes, où les formes animales les plus diverses se combinent, soit entre elles, soit avec la forme humaine. Qu’un chef appelé le Loup ait enlevé à une tribu voisine une femme connue sous le nom d’un autre animal, que la tradition conserve le souvenir de la double origine de la famille, les enfans seront issus du loup et d’un autre animal ; puis l’imperfection déjà signalée du langage accréditera peu à peu la croyance à un ancêtre en qui les deux natures animales se sont trouvées unies. Si la tribu grandit et devient une nation, les représentations d’un tel monstre seront l’objet d’un culte. La femme peut avoir appartenu à une tribu qui n’avait pas de totem ; dans ce cas, le dieu-ancêtre sera figuré par les formes combinées de la femme et du loup. De là, chez les Egyptiens, le dieu à tête d’épervier et la déesse Patch, avec son corps de femme et sa tête de lion ; de là les divinités babyloniennes, l’une représentée par un homme ayant la queue d’un aigle, l’autre par un buste humain surmontant un corps de poisson. Ainsi s’expliquent encore les taureaux ailés à tête humaine des bas-reliefs de Ninive, les centaures, les satyres de la mythologie grecque.

Telle est dans ses traits essentiels l’ingénieuse théorie de M. Spencer. Nous ne voudrions pas en prendre l’entière responsabilité ; mais elle est digne de toute attention. En dernière analyse, c’est dans la croyance à l’immortalité qu’elle place l’origine des cultes primitifs. Elle dérive d’une source élevée des superstitions dont l’absurdité paraît d’abord aussi invraisemblable qu’inexplicable, sans avoir besoin pour cela de faire des premiers hommes des métaphysiciens ; mais, à son tour, cette croyance à l’âme immortelle, quelques formes grossières qu’elle revête au début, ne suppose-t-elle pas déjà, à un certain degré de pureté et d’énergie, le sentiment religieux ? Qu’est-ce au fond que cette aspiration, vieille comme l’humanité même, vers un avenir meilleur, sinon l’instinct obscur d’un bonheur, d’une perfection qui ne sont pas de ce monde, d’un idéal enfin, dont l’attraction divine sollicite l’âme humaine par le tourment du mieux et la soulève au-dessus d’elle-même ? Et si tout effet positif implique une cause positive, comment cette cause ne serait -elle pas ici l’idée même du parfait, imprimée, pourrait-on dire, au plus profond de l’homme et produisant, dès les premiers jours d’existence de notre espèce, dans la sensibilité comme dans