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tout d’abord entre le fétichisme proprement dit et le culte des animaux, des plantes et des astres. L’usage a réservé le nom de fétiches à ces objets inanimés que les sauvages portent ordinairement sur eux et auxquels ils attribuent un pouvoir surnaturel ; mais le fétiche est-il véritablement un dieu et adoré comme tel ? En aucune façon. Le sauvage croit seulement que, par l’intermédiaire du fétiche, il peut contraindre son dieu à l’exaucer ; le fétiche est, pour ainsi parler, un otage de la divinité qu’il tient entre ses mains ; c’est, pourrait-on dire encore, comme un billet à ordre que le dieu s’est engagé d’honneur à ne pas laisser protester. Aussi, quand l’événement tourne contre son attente, le sauvage insulte et maltraite son fétiche ; il le rejette comme chose vile et s’en choisit un autre. Ces dispositions se retrouvent, même chez des nations relativement civilisées, à l’égard des idoles, qui ne sont au fond que des fétiches. « En Chine, parmi le peuple, dit M. Lubbock, si, après de longues prières adressées à leurs idoles, ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent, comme cela arrive souvent, ils les mettent à la porte comme des dieux impuissans ; d’autres, les traitant plus mal encore, les injurient et quelquefois les battent. « Eh bien ! chien d’esprit, lui disent-ils, nous t’avons logé dans un temple magnifique, nous t’avons couvert de dorures, nous t’avons bien nourri et abreuvé d’encens, et, après tous ces soins, tu es assez ingrat pour nous refuser ce que nous te demandons. » Puis ils attachent des cordes à l’idole, la précipitent à bas de son piédestal, la traînent dans les rues, au milieu de la boue et des ordures, pour la punir des dépenses inutiles qu’ils ont faites pour elle. Si, pendant ce temps, il arrive que leurs vœux sont remplis, ils la reconduisent au temple avec le plus grand cérémonial, la lavent, la replacent dans sa niche, s’agenouillent devant elle et lui font mille excuses de leur conduite. « Il est vrai, disent-ils, que nous avons été un peu trop vifs ; mais toi, de ton côté, tu as été un peu trop lente à nous accorder ce que nous désirions. Pourquoi t’être attiré ces mauvais traitemens ? Mais ce qui est fait est fait, n’y pensons, donc plus. Si tu veux oublier le passé, nous allons te dorer à nouveau. »

Les circonstances dans lesquelles se fait le choix du fétiche prouvent bien qu’il n’a véritablement pas lui-même aucun caractère sacré. Un nègre intelligent dit un jour à Bosman : « Si l’un de nous est résolu à entreprendre quelque chose d’important, la première chose qu’il fasse est de chercher un dieu qui l’aide dans son entreprise. Dans ce dessein, il sort et prend pour dieu la première créature qui se présente à lui, un chien, un chat, peut-être même un objet inanimé qui se trouve sur son chemin, une pierre, un morceau de bois, ou quoi que ce soit, cela importe peu. Il offre immédiatement une offrande à ce nouveau dieu, lui explique son entreprise