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Au pied de ces arbres, on établissait des autels ; on leur offrait du vin, des fruits et du miel en invoquant leurs rameaux. Souvent on les chargeait de bandelettes, et un ingénieux archéologue, M. Charles Toubin, pense que là pourrait bien être l’origine de nos arbres de la liberté.

Les mêmes croyances et les mêmes pratiques se retrouvent chez les anciens Celtes, qui semblent avoir vénéré principalement les pommiers et les chênes. Elles résistèrent longtemps à l’action du christianisme. Le concile d’Arles en 452, plus tard un concile d’Auxerre, Grégoire le Grand au VIe siècle, au VIIe saint Éloi de Noyon, recommandent de détruire les arbres que l’on nomme sacrés, de poursuivre et de chasser leurs adorateurs. A plusieurs reprises, les capitulaires de Charlemagne font mention de ce culte et édictent des peines contre ceux qui s’y livrent.

Des arbres aux fleuves, aux lacs et aux fontaines, la transition est assez naturelle : on n’est donc pas surpris de les voir figurer parmi les divinités de la religion primitive. Les sauvages de l’Amérique du Nord jettent ce qu’ils ont de plus précieux, tabac, couteaux, pièces d’étoffe, dans les rivières et les lacs pour se rendre favorable l’esprit qui les habite. Au temps de César, les Tectosages de Toulouse adoraient un lac et lui témoignaient leur dévotion en lui offrant des bracelets, des colliers, des monnaies d’or : depuis des siècles, un trésor immense s’accumulait au fond. Certaines de nos campagnes conservent encore aujourd’hui les traces de cette vieille superstition[1].

Les montagnes, les rochers, les pierres, semblent avoir été partout des objets sacrés. On sait les imprécations de l’Écriture contre les infidèles qui sacrifiaient sur les hauts lieux. Les témoignages des voyageurs sur l’adoration des pierres par les sauvages sont innombrables ; souvent on les emmaillotte de bandes d’étoffe ou on les enduit de couleur rouge. Une pierre noire était la divinité des Arabes avant Mahomet. L’Hermès des Grecs était primitivement une simple pierre levée ; « la Vénus de Paphos, dit De Brosses, était une borne ou une pyramide blanche ; la Junon d’Argos, l’Apollon de Delphes, le Bacchus de Thèbes, des espèces de cippes… La Matuta des Phrygiens, cette grande déesse apportée à Rome avec tant de respect et de cérémonie, était une pierre noire à angles irréguliers. On la disait tombée du ciel à Pessinunte. » — Les anciens Celtes faisaient

  1. « La fontaine de Saint-Hilier (Seine-et-Marne), dit M. Ch. Toubin, guérit la fièvre, et l’on accourt de toutes les parties du pays environnant pour lui demander la santé ; les malades jettent de l’argent dans la source même, qui passe pour contenir un trésor. Voilà bien tous les caractères des sources sacrées du paganisme, dites aussi puits à la monnaie… A côté de la source est un vieil arbre mort, taillé en forme de croix, et toujours chargé de lambeaux d’étoffe. »