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romain : Elien rapporte que de son temps on attribuait au serpent le pouvoir délicat d’indiquer la chasteté des filles.

Il serait trop long de suivre M. Fergusson chez les différens peuples où il signale les traces de cette singulière religion. Il la trouve chez les anciens Prussiens et les anciens Polonais, en Sarmatie, en Scandinavie, où jusqu’au VIe siècle de l’ère chrétienne les serpens passent pour des dieux familiers. Selon Castren, les Lapons croient que ces animaux vivent comme nous en société, qu’ils ont des chefs qui se réunissent annuellement et qui étendent leur juridiction même sur les hommes auxquels il est arrivé d’offenser ou de tuer quelqu’un de leurs sujets. Le même culte semble avoir existé autrefois en Gaule et dans la Grande-Bretagne ; il existe encore chez certaines peuplades américaines et dans un grand nombre de tribus de l’Afrique. M. Fergusson pense qu’il précéda dans l’Inde le brahmanisme, reparut avec le bouddhisme, et qu’il est aujourd’hui vivant, mais effacé au fond des croyances religieuses de la grande péninsule.

L’adoration du serpent se présente presque partout étroitement unie à celle des arbres. M. Fergusson, qui signale le fait, ne se charge pas de l’expliquer ; mais il est assez général pour permettre de conclure que les deux cultes n’en firent primitivement qu’un seul. Le culte des arbres paraît même avoir été plus répandu que celui du serpent, ou du moins avoir plus longtemps duré. L’Orient eut ses arbres sacrés. Moïse et les prophètes s’élèvent souvent contre cette superstition, fort répandue chez les Juifs. « Vous ne planterez point, dit Moïse, de grands bois ni aucun arbre près de l’autel du Seigneur votre Dieu. » Et Osée, parlant des Juifs infidèles, s’exprime ainsi : « Ils sacrifiaient sur le sommet des montagnes et des collines, ils brûlaient de l’encens sous les chênes, sous les peupliers et sous les térébinthes. » Nous savons par Eusèbe qu’on adorait encore au temps de Constantin le térébinthe sous lequel Abraham, selon la tradition, s’était entretenu avec les anges.

Les Indiens paraissent avoir voué un culte au palmier, au lotus et au sandal. Quand le roi Açoka voulut introduire le bouddhisme à Ceylan, il y transporta en grande pompe une branche du , cet arbre mystérieux à l’ombre duquel avait médité Çakya-Mouni. L’antiquité classique tout entière attribue à certains arbres un caractère religieux. Il est superflu de rappeler les chênes prophétiques de Dodone, les trirèmes d’Énée, métamorphosées en déesses marines, le figuier Ruminai. Un poirier du Péloponèse avait servi d’abri aux Dioscures ; l’olivier était dédié à Minerve, le laurier à Apollon, le myrte à Vénus, le lierre à Bacchus, le peuplier à Hercule, le chêne à Jupiter. « Les arbres, dit Pline, furent les premiers temples et nous voyons aujourd’hui les campagnes, fidèles encore à la simplicité de l’ancien culte, consacrer leur plus bel arbre à la divinité. »