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derrière ces monstrueuses apparences, quelque signification raisonnable qui, même à l’origine, atteste l’essentielle dignité de l’intelligence humaine, trahisse les premiers efforts d’une réflexion judicieuse et contienne la promesse des progrès ultérieurs ? Nous avons exposé dans une précédente étude[1] les motifs qui portent à croire que le niveau moral et religieux de l’humanité primitive fut beaucoup plus élevé que celui des sauvages les plus dégradés ; c’est une démonstration nouvelle de cette hypothèse que nous nous proposons de tenter.


I

Il n’est guère douteux que le culte des animaux n’ait été à peu près universel. Déjà au siècle dernier, De Brosses, dans un excellent mémoire sur le culte des dieux fétiches, signalait d’incontestables rapports entre la religion des Egyptiens et celle des peuplades sauvages. Les animaux qui sont l’objet de l’adoration populaire sont différens selon les pays. Certaines tribus de l’Afrique gardent au fond d’un sanctuaire un tigre orné de fétiches ; on lui offre des moutons, des volailles, du maïs, on exécute des danses en son honneur. Ailleurs c’est le crocodile qui est l’animal sacré ; agiter une lance au-dessus des eaux qu’il habite est un crime capital. L’ours est une divinité dans le nord, le jaguar au Brésil, le crapaud dans l’Amérique du Sud. Les Maoris vénèrent l’araignée ; ils voient dans les fils de la Vierge le chemin que suivent les âmes des fidèles pour aller au ciel ; aussi se font-ils scrupule de les rompre. A tous les échelons du règne animal, l’ingénieuse superstition a su trouver des dieux.

Mais aucun culte n’a été plus répandu que celui du serpent. L’universalité de cette religion a de quoi surprendre ; un écrivain anglais, M. J. Fergusson, qui s’en est fait l’historien, la rencontre sous toutes les latitudes du globe. Certains témoignages d’Hérodote et de Plutarque permettent de penser qu’elle existait en Égypte ; selon M. Fergusson, elle fut, chez les Juifs, antérieure au culte spiritualiste et monothéiste de Jehovah. Moïse fit d’énergiques efforts pour l’extirper ; de là la malédiction prononcée contre le serpent dans la Genèse. Il ne réussit qu’imparfaitement ; comme toutes les religions vaincues, celle du serpent subsista, latente et méprisée, dans les couches inférieures du peuple juif. De loin en loin elle reparut au grand jour, brava le mosaïsme et dressa autel contre autel. C’est ainsi que tout Israël se prosterne devant le serpent d’airain, qui pendant cinq cents ans fut publiquement encensé et adoré. Cette superstition tenace fait encore gémir Salomon, et ce

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1875.