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LA MADONE DE L’AVENIR.

sonore, mais avec un laconisme que j’attribuai à la gêne que lui causait ma présence inattendue. Elle raconta que le matin elle était allée à confesse, puis au marché, où elle avait acheté un poulet pour dîner. Elle se trouvait très heureuse, elle ne se plaignait de rien, si ce n’est du manque de probité des gens pour qui elle travaillait et qui lui fournissaient ses matériaux. Il lui répugnait d’employer un aussi mauvais fil dans un vêtement consacré, pour ainsi dire, au Seigneur.

De temps à autre, elle levait les yeux pour diriger de mon côté un regard où je ne vis d’abord que l’expression d’une curiosité fort naturelle. Ce manège s’étant renouvelé, je me demandai si elle ne cherchait pas à établir une entente avec moi aux dépens de notre compagnon. Fidèle à la promesse que j’avais faite de tempérer l’admiration par le respect, je me mis en mesure de juger jusqu’à quel point la dame méritait l’éloge de Théobald.

C’était en effet une belle femme, ainsi que je fus forcé d’en convenir malgré la surprise que j’éprouvai en remarquant qu’elle n’avait plus la fraîcheur de la jeunesse. Sa beauté du reste était de celles dont le charme essentiel consiste dans la forme ou dans ce que Théobald aurait appelé « la composition, » et qui ont le moins à redouter des ravages du temps. Elle était grande, largement charpentée, avec un front un peu étroit, de beaux yeux calmes et un teint pâle sous une peau brunie par le soleil d’Italie. L’épaisse chevelure noire qui cachait ses oreilles et une partie de ses joues formait une coiffure aussi modeste que le voile d’une nonne. Son port de tête avait une allure imposante dont la fierté était corrigée par un air de résignation dévote qui s’harmonisait à merveille avec le regard paisible qu’elle abaissait sur sa broderie. En somme, tout annonçait une vigoureuse nature physique et la sérénité d’un esprit que les nerfs laissent en repos. La Sérafina portait une toilette fort simple : une robe brune et un fichu d’un bleu foncé qui se croisait sur la poitrine, ne laissant voir qu’un cou bien modelé. Sur le fichu brillait une petite croix d’argent. J’admirai beaucoup mon hôtesse, mais non sans faire de larges réserves. Une profonde apathie intellectuelle accompagne d’ordinaire le type de beauté mûre que j’avais sous les yeux. Cette Égérie bourgeoise ne devait pas être tourmentée par des aspirations bien élevées. Une lueur intime avait-elle jamais éclairé ce visage ? Il était permis d’en douter. En tout cas, la lueur s’était singulièrement affaiblie. Et puis, pour parler sans métaphore, la dame commençait à… engraisser ! Ma déception alla presque jusqu’au désenchantement lorsque Théobald s’avisa de faciliter mon inspection secrète. Déclarant que la lampe brûlait mal et que la Sérafina s’abîmerait les yeux, il se leva pour prendre sur la cheminée deux bougies qu’il alluma. À peine les