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LA MADONE DE L’AVENIR.

le bouddhisme. Elle profane les mots sacrés, ajouta-t-il avec plus de véhémence. Elle ne tient à vous voir dans son salon rempli de mensonges, de faux Pérugins, que parce que vous servez à passer les tasses de thé. Si vous ne voulez pas bâcler en trois jours un tableau qu’elle puisse soumettre à ses hôtes, elle proclamera sans hésiter que vous êtes un charlatan !

Décidément j’avais affaire à deux ennemis ; mais l’épreuve à laquelle je venais de soumettre les assertions de Mme  Coventry ne dissipait pas mes incertitudes. Notre entretien avait eu lieu assez tard dans l’après-midi, lors d’une visite à l’église de San-Miniato, située sur une des collines qui dominent la ville. Rien de plus beau que le panorama de Florence, vu du haut de la large terrasse qui s’étend en face de l’église aux murs de marbre crevassés. Les montagnes se dessinaient vaguement en bleu, comme une vaste coupe au fond de laquelle semble être tombée la petite cité aux mille trésors, avec ses amples dômes et ses légères tourelles. Cependant l’allée de cyprès qui des portes de la ville conduit à San-Miniato n’a rien de gai, et pour chasser les pénibles souvenirs qu’avait réveillés le nom de Mme  Coventry, je proposai à Théobald de m’accompagner le soir même à l’Opéra, où l’on devait représenter une œuvre rarement jouée. Il refusa, ainsi que je m’y attendais presque, car j’avais remarqué qu’il ne disposait jamais de ses soirées en ma faveur, bien qu’il ne fît aucune allusion à la façon dont il les passait,

— Vous m’avez plus d’une fois rappelé, lui dis-je, la charmante tirade du peintre florentin dans le Lorenzaccio, d’Alfred de Musset : « Je ne fais de mal à personne. Je passe mes journées dans mon atelier. Le soir, je vais voir ma maîtresse ; lorsque la nuit est belle, nous la passons sur son balcon. » Je ne sais si vous avez une maîtresse ou si elle a un balcon ; mais pour peu que ce double bonheur vous soit échu en partage, je reconnais que vous auriez tort de venir écouter une prima donna de troisième ordre.

Il parut hésiter avant de répondre; il se tourna enfin vers moi d’un air solennel et me demanda : — Êtes— vous capable de contempler une belle femme avec toute la vénération qu’elle mérite ?

— Ma foi, répliquai-je, sans me donner pour un saint, j’ose affirmer que je ne suis pas impudent.

Je le priai ensuite de s’expliquer plus clairement, et lorsque j’eus déclaré que je croyais pouvoir m’engager à tempérer l’admiration par le respect, il m’annonça d’un air mystérieux qu’il était à même de me présenter à la plus belle femme de l’Italie.

— Une beauté doublée d’une âme ! ajouta-t-il.

— En vérité, vous êtes fort heureux, m’écriai-je. Je serai ravi d’être témoin de l’union de ces deux mérites.