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qu’il se plaît à rédiger comme un memento de ce qu’il a vu ou observé, le lecteur cherche en vain une impression, un entraînement des sens. Non; on dirait que l’officier anglais est passé devant les pyramides sans les voir, qu’il a traversé les bosquets d’orangers du Portugal sans en respirer les parfums. La Grèce et Malte n’ont pas évoqué de souvenirs historiques dans l’esprit de cet ancien élève d’Eton. Tout ce qu’il sait dire, c’est qu’ici les maisons se construisent en briques, qu’ailleurs les transports s’effectuent à dos d’âne. Cependant je rencontre une fois une note émue; son cheval favori, un fidèle serviteur qu’il avait depuis trois ans, est gravement blessé à la bataille de Vittoria. On croirait presque qu’il n’a pas éprouvé plus de regrets à la mort de tant de compagnons d’armes qu’il laisse sur le sol de la Péninsule. Ceci n’est pas dit pour le simple plaisir de critiquer. Burgoyne s’y révèle tout entier, homme froid, compassé, que rien n’agite ni ne trouble. Tel il était en Portugal, et tel nos généraux le retrouvèrent encore devant Sébastopol; mais, objectera-t-on, à cette époque des guerres de la Péninsule, c’était l’insouciance de la jeunesse, c’était l’amour du métier, qui dominaient en lui : s’il n’a pas regardé autour de lui, c’est que le spectacle et l’agitation d’un camp suffisaient à l’aliment de son esprit. Cependant un peu plus tard il revient à Lisbonne. Dom Pedro, empereur du Brésil, avait abdiqué la couronne de Portugal au profit de sa fille doña Maria. Dom Miguel, frère de dom Pedro, prétendait supplanter sa nièce. L’Espagne lui était favorable; la Grande-Bretagne lui était contraire. Afin d’éviter l’intervention espagnole, le cabinet de Londres avait décidé d’intervenir lui-même. Une armée anglaise, commandée par sir William Clinton, débarquait à Lisbonne en janvier 1827; Burgoyne en était le principal ingénieur. Il n’y eut cette fois ni siège à faire ni bataille à livrer. Le temps ne manquait pas pour examiner le pays ou pour en étudier les mœurs ; mais notre héros n’éprouve aucune sympathie pour la contrée bénie du soleil où les hasards de la guerre le ramènent pour la seconde fois. Il s’aperçoit avec étonnement que le nom de Wellington n’excite aucun enthousiasme chez les Portugais; n’est-ce pas de l’ingratitude après les services qu’il leur a rendus? Ces grands services, on s’en souvient, ce n’est ni d’avoir pacifié le Portugal, ni de l’avoir protégé contre les exactions des gens de guerre; c’est d’avoir repoussé jusqu’aux Pyrénées les Français qui avaient commencé par repousser les Anglais jusqu’à Lisbonne. Anglais ou Français, il importait peu au paysan des Algarves de savoir par qui il était pressuré. Burgoyne ne l’entend pas ainsi. On lui a raconté que Wellington a eu le tort grave de renvoyer les bataillons portugais, à la fin de la campagne, sans prendre le soin de leur adresser la moindre parole de remercîment.