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peuvent s’éclairer au loin, le général confédéré Hood sort d’Atalanta avec la plus grande partie de ses troupes. Marchant rapidement la nuit à travers les bois, il attaque l’armée unioniste par derrière. La surprise est complète. Pendant que la cavalerie ennemie essaie d’enlever les parcs, l’infanterie, dissimulée par les bois, arrive au milieu des camps fédéraux, des ambulances, des bivouacs de l’artillerie et y jette un désordre considérable. Macpherson, le bras droit de Sherman, arrivé à trente-quatre ans au commandement d’un corps d’armée, était en conférence avec son chef lorsque le bruit du canon et de la mousqueterie dans une direction inattendue, révèle le danger. Il saute en selle ; quelques instans après, le cheval revient seul, couvert de sang, et on rapporte le corps de Macpherson à Sherman, dont le quartier-général est déjà criblé de boulets. Le moment est critique, mais les ordres sont donnés clairs et nets. Attaqués à la fois par derrière et par devant, les soldats de Sherman résistent magnifiquement et traversent la plus rude épreuve qu’ait à subir le moral d’une armée. L’ennemi se retire avec des pertes cruelles, car les fédéraux enterrent 3,200 de ses morts sur-le champ de bataille. Sa force de résistance était épuisée. La lutte soutenue depuis Chattanooga jusqu’à Atalanta, lutte qui avait coûté à l’armée de Sherman 27,000 hommes atteints par le feu de l’ennemi, allait se terminer par la capture de cette dernière ville. Sherman en effet, mettant à exécution le principe que l’art de la guerre consiste avant tout à deviner ce qu’on peut oser vis-à-vis de son adversaire, abandonne ses communications pour se porter, par un mouvement hardi, sur celles de l’ennemi. Ce mouvement, blâmé comme imprudent par ses propres lieutenans, réussit complètement et détermine l’évacuation d’Atalanta, où l’armée conquérante entre aussitôt.

La chute de cette place eut un grand retentissement ; elle avait tant tardé qu’on ne l’espérait plus. Au même moment, Grant semblait être échec et mat devant Richmond. Enfin une élection présidentielle était à la veille de se faire, et la question électorale allait se poser entre M. Lincoln, champion de la continuation de la guerre jusqu’à la soumission du sud, et un autre candidat représentant le compromis entre les belligérans, la paix et la dissolution de l’Union. Dans ces circonstances, la nouvelle du succès de Sherman était triplement la bienvenue ; aussi les félicitations ne lui manquèrent pas.

A la guerre, il n’y a rien de fait tant qu’il reste quelque chose à faire, et Sherman n’était pas homme à s’endormir dans son triomphe. Il l’était d’autant moins que sa sagacité lui avait déjà révélé les difficultés de la situation. Selon lui, il est impossible de rester à Atalanta. L’ennemi est trop affaibli pour pouvoir attaquer les forces qui y sont réunies ; cependant il peut les affamer en interceptant le chemin de fer laborieusement reconstruit, qui seul relie l’armée