Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient des états de situation. Ainsi organisé, Sherman mit en marche ses 100,000 hommes formant trois corps commandés par les généraux Thomas, Macpherson et Schofield.

Trois longs mois furent employés à parcourir les 150 kilomètres qui séparaient Chattanooga d’Atalanta. Il fallait d’abord combattre pour faire reculer l’ennemi, puis s’arrêter, reconstruire le chemin de fer nécessaire à l’alimentation de l’armée, refaire ses ponts, ses travaux d’art et élever les ouvrages indispensables pour les protéger. La voie rétablie, on se remettait en route, on ne tardait pas à retrouver l’ennemi de nouveau retranché, et tout était à recommencer. Sherman avait renoncé à toute attaque directe contre les positions fortifiées ; ces attaques échouaient toujours. Une fois les positions reconnues, il établissait ses troupes sur une ligne parallèle, et en une nuit elles se couvraient de terre à leur tour. Il attendait alors le moment favorable pour ordonner un mouvement tournant qui avait toujours le caractère d’une surprise. En même temps les cavaleries des deux armées se montraient très actives. Toutes deux s’efforçaient de couper les lignes de communication de l’adversaire et y réussissaient quelquefois ; mais dans ce genre d’opérations l’avantage était pour les confédérés, dont les troupes à cheval étaient infiniment plus mobiles. « Elles font cent milles contre les miennes dix, » s’écrie Sherman. Dans son opinion d’ailleurs, et elle mérite attention, car, plus que tout autre général américain, il a eu l’expérience de ces raids, la part de ces moyens de guerre dans le succès final était presque nulle. Selon lui, la cavalerie, toujours pressée, toujours en crainte d’être signalée par le télégraphe et de voir arriver l’infanterie, ne voulait ou ne pouvait travailler assez sérieusement pour mettre un chemin de fer complètement hors de service. Rien ne préoccupait plus Sherman que ces questions de chemins de fer. Comme tout Américain, il était un peu ingénieur. « Sans les chemins de fer, la campagne eût été impossible, » dit le chef d’armée. Quant à l’ingénieur, il raconte avec orgueil les prodiges de reconstruction rapide dont il fut témoin, et il n’a pas assez d’admiration pour un mécanicien qu’il vit, aux applaudissemens de l’armée, mener sa locomotive à une citerne sous un feu violent d’artillerie, prendre son eau sans sourciller et revenir sans accident, en répondant aux coups de canon par les cris de son sifflet. « Je suis convaincu, dit-il, que les dangers courus par le personnel de la voie, mécaniciens et autres, égalaient ceux de la ligne des tirailleurs, demandaient autant de courage et étaient aussi utilement affrontés. »

De combat en combat, Sherman est arrivé devant Atalanta, où l’ennemi va tenter un grand effort. Profitant d’un moment où la cavalerie des fédéraux est en expédition et où par suite ils ne