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montrant : Voilà l’homme. Devant cette acclamation tacite, les gouvernails n’ont eu qu’à s’incliner, car cette confiance aveugle d’une armée dans son chef est déjà la moitié du succès. Heureux les hommes qui savent l’inspirer ! heureux les peuples qui trouvent de pareils hommes à l’heure du péril !

Ce mouvement d’opinion militaire qui venait de désigner Sherman pour le commandement en chef allait, comme conséquence naturelle, engendrer l’attente de succès prompts et éclatans. Il y a là un danger dans lequel il ne tombera pas. Rien ne troublera son jugement ni la rectitude de son bon sens. L’heure n’est pas encore venue, selon lui, où l’on puisse hasarder des opérations trop audacieuses contre un ennemi dont le moral est encore intact, quelles que soient les impatiences de la foule. Cependant il va agir avec résolution, mais seulement après s’être assuré des moyens certains de succès.

De grandes difficultés sont accumulées autour de lui. Jusqu’alors les chefs des armées de l’ouest avaient eu pour sérieux sujets de préoccupation les opérations militaires, le combat, et cette partie de la politique inséparable de la direction des armées ; mais ils avaient été affranchis du plus grave souci du commandement : la question des transports et des approvisionnemens. Jusqu’ici on s’est battu le long des fleuves et pour leur possession. Dès le début, les fédéraux ont eu sur leurs eaux non-seulement une flottille cuirassée qui a puissamment aidé Grant et ses lieutenans, mais surtout des transports à vapeur dont le nombre illimité leur a partout apporté et presqu’à heure fixe les vivres, les munitions, les hommes, et les a débarrassés avec une égale facilité des blessés, malades, prisonniers et de tous les détritus encombrans d’une armée.

Ce concours maritime va cesser. Déjà à Chattanooga, où se trouve Sherman, les voies fluviales ne sont plus d’aucun secours, et les approvisionnemens des troupes arrivent péniblement, au jour le jour, par un seul chemin de fer, celui de Nashville ; de plus le pays est hostile et infesté de guérillas. Ces partisans ne peuvent rien contre les flottilles de transport escortées par les canonnières, mais la protection des chemins de fer contre leurs tentatives paralyse déjà des forces considérables. Si l’on s’avance au-delà de Chattanooga, ce sera bien pis. Or il faut marcher en avant, et personne n’est plus convaincu de cette nécessité que Sherman. La défensive, il l’a dit le premier et l’expérience lui a donné cent fois raison, c’est l’impunité assurée à toutes les entreprises de l’ennemi, c’est le désastre. Pour combattre avec succès l’insurrection, il faut ne lui laisser aucun repos. L’adversaire d’ailleurs se charge d’indiquer lui-même où il faut frapper. A environ 150 kilomètres de Chattanooga se trouve une des grandes villes de Géorgie, Atalanta,