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C’était un de ces raids qui allaient devenir si fréquens quand les armées » éloignées des voies fluviales et des canonnières, allaient dépendre des lignes ferrées soit pour vivre, soit pour combattre. Rentrer en gare au plus vite, distribuer le bataillon qui est sur le train dans les bâtimens crénelés de la station et dans une petite redoute qui l’avoisine, mettre le feu aux quelques maisons qui eussent pu abriter l’ennemi, puis télégraphier pour des renforts avant que le télégraphe soit coupé, est aussitôt fait qu’ordonné. On voit paraître alors la cavalerie, quatre mille chevaux environ, s’avançant en ligne de front. Elle se divise en deux détachemens qui occupent le chemin de fer des deux côtés de la station et se mettent à détruire la voie pendant que deux batteries canonnent la gare et démolissent le train et la locomotive. Les fédéraux, n’ayant point de canons, ne peuvent répondre. Sur l’ordre de Sherman, chacun s’abrite du mieux qu’il peut, en attendant l’assaut. Bientôt en effet les cavaliers démontés tentent l’attaque ; mais les vieux soldats de Sherman savent tirer avec sang-froid et justesse, et l’assaut est repoussé à plusieurs reprises. Au bout de trois ou quatre heures, la cavalerie remonte à cheval et s’éloigne, avertie sans doute de l’approche des troupes d’infanterie appelées par le télégraphe. Ces troupes arrivèrent le soir, ayant fait 35 kilomètres d’une traite pour venir au secours de leur général.

Le lendemain de cette aventure, la voie était réparée, et Sherman reprenait sa route ; mais Grant, qui l’a devancé de sa personne, pour prendre le commandement de l’armée battue à Chattanooga, se trouve dans une situation critique, les vivres lui manquent, et l’ennemi le serre de près. Il envoie message sur message à Sherman pour le prier de se hâter. Celui-ci redouble d’efforts : ses divisions sont en superbe condition, malgré une marche de 450 kilomètres entremêlée de nombreux combats ; il faut cependant improviser des ponts de 500 mètres et vaincre toute espèce de difficultés. Enfin il arrive, il passe une nuit dans une barque, où il rame lui-même, pour venir prendre les ordres de son chef, et la bataille de Chattanooga est livrée, bataille sanglante comme toutes les batailles américaines, où l’on se bat de près, au fusil, dans un pays boisé, peu favorable à l’emploi de l’artillerie. Ces immenses fusillades se prolongent indéfiniment, car les morts et les blessés tombant à l’insu de tous, excepté leurs voisins immédiats, le moral des troupes n’est pas ébranlé par le spectacle de grandes pertes, dont chefs et soldats ne connaissent l’étendue que le lendemain. Ici pourtant, Sherman avait jugé que ses pertes devaient être grandes, au nombre de généraux et de colonels dont on lui annonçait la blessure ou la mort ? Chargé par son chef d’attaquer l’ennemi en flanc, pour l’obliger à dégarnir son centré, vers lequel Grant se réservait de diriger à une